Protection sociale, taille du ménage et déterminants : données probantes de l’Ethiopie
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Un récent document de travail du Programme d’Appui Stratégique (ESSP) de l’IFPRI en Ethiopie étudie comment les politiques publiques, en particulier celles relatives aux interventions en termes de protection sociale, peuvent induire des changements dans la taille ou la structure des ménages ; et comment, à leur tour, ces changements éventuels non intentionnels peuvent influencer les résultats obtenus grâce aux politiques elles-mêmes.
Approximativement un milliard de personnes bénéficient des interventions de protection sociale à travers le monde, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés. Ces programmes peuvent affecter la taille des ménages sous plusieurs aspects : fertilité, confiage , formes d’emploi, migration, mariage, divorce et dissolution des ménages. Cependant, la majorité des documents à ce jour ne traite qu’un seul de ces aspects, la fertilité ; de plus, la plupart des études réalisées ne concernent que les programmes appliqués dans les pays où les taux de fertilité sont déjà bas ou dans les pays où le confiage et le mariage précoce des filles ne sont pas largement pratiqués.
Le document tente de combler certaines de ces lacunes en examinant le Programme de Filets Sociaux Productifs (PFSP) de l’Ethiopie, une intervention de protection sociale (comprenant un programme de travaux publics) mise en œuvre en Ethiopie, un pays en développement qui présente des taux élevés de fertilité.
Le PFSP a été créé en 2002 en réponse à une sécheresse majeure qui a précipité plus de 13 millions de personnes en Ethiopie dans la dépendance par rapport à l’aide alimentaire d’urgence. Cette crise a incité le gouvernement à rechercher des moyens de réduire la vulnérabilité générale face aux pénuries alimentaires causées par les chocs pluviométriques. Le PFSP cible particulièrement les woredas [i] qui sont souvent frappés par la sécheresse et qui ont reçus dans le passé une aide alimentaire.
Les ménages participants sont sélectionnés sur la base de critères spécifiques, tels que le fait d’être membre de la communauté, de faire face à des pénuries alimentaires persistantes pendant un certain nombre d’années, d’être dans une situation chronique d’insécurité alimentaire suite à un choc ayant entraîné une perte sévère des actifs, et le manque de soutien familial ou de protection sociale. Tous les actifs des ménages (revenus, terres et bétail) sont également évalués, ainsi que leurs caractéristiques démographiques (telles que : ménage dirigé par des femmes, ménages comprenant des personnes âgées ou handicapées). Bien que le programme utilise le ciblage progressif, le budget du PFSP n’est pas suffisant pour inclure toutes les familles éligibles ; de plus, la taille du ménage et la présence de jeunes enfants ne sont pas pris en compte quand les ménages sont sélectionnés pour le programme.
Les paiements du PFSP prennent la forme d’aliments et de cash, et une majorité de bénéficiaires reçoivent des paiements en retour de leur participation aux travaux publics. Ces travaux publics – tels que les projets de préservation des sols et des eaux ou la construction et l’entretien des routes de desserte – ont généralement lieu entre janvier et juillet, en dehors de la saison de croissance, quand les opportunités de travail sont peu nombreuses. Le programme comporte également une composante de soutien direct qui s’adresse aux personnes âgées et aux handicapés ; dans cette composante, les paiements sont donnés sans participation aux travaux publics. Selon l’étude ESSP, les niveaux de paiement ont toujours été constamment inférieurs à ce qui avait été établi dans le manuel de mise en œuvre du programme, en particulier la section sur le soutien direct.
Les données de l’étude ESSP proviennent des enquêtes biannuelles du PFSP qui collectent des données longitudinales concernant les bénéficiaires et les non bénéficiaires situés dans la même localité. L’étude ESSP utilise spécifiquement quatre enquêtes réalisées entre 2006 et 2012. Les enquêtes sont réalisées chaque année à la même période et incluent des questions identiques sur la démographie des ménages dans chaque session, ainsi qu’un ensemble de variables de contrôle.
Le rapport présente un cadre conceptuel couvrant les modèles économiques qui ont été utilisés pour examiner la démographie des ménages dans des études précédentes. Selon les auteurs, de nombreuses caractéristiques de ces modèles sont pertinentes lorsque l’on s’intéresse à la manière dont le PFSP peut influencer la taille des ménages. Premièrement, des études soulignent qu’avec l’augmentation des revenus, les parents peuvent être incités à investir davantage dans la qualité de vie de l’enfant (c-à-d la santé et l’éducation des enfants) et moins dans le nombre des enfants (avoir plus d’enfants). D’autres études suggèrent que si les avantages du programme sont liés à la taille des ménages, les paiements PFSP peuvent être considérés comme une incitation pour les ménages à avoir plus d’enfants afin de recevoir des prestations plus élevées ; cependant, l’étude ESSP souligne que, dans la pratique, les paiements du PFSP n’augmentent pas proportionnellement à l’agrandissement des ménages. De plus, les enfants de moins de deux ans ne sont pas pris en compte dans les paramètres d’éligibilité pour la participation au PFSP.
Le cadre conceptuel souligne également que les programmes de protection sociale peuvent influencer les personnes qui choisissent d’avoir des enfants. Le PFSP permet aux femmes enceintes et allaitantes de passer temporairement de la composante travaux publics du programme à la composante soutien direct, réduisant ainsi la probabilité de perte de revenus (causée par la grossesse) pour le ménage. A cause de cela, et parce que les ménages ont tendance à entrer et sortir du PFSP au fil du temps en fonction des changements dans leur situation économique, les ménages peuvent choisir de réduire l’écart entre les enfants et d’avoir des enfants pendant qu’ils sont bénéficiaires du PFSP afin de minimiser les pertes de revenus.
Enfin, certains modèles suggèrent que la participation au PFSP peut aider à réduire la disparité salariale entre les zones urbaines et les zones rurales, réduisant ainsi l’exode rural des ménages et encourageant même les travailleurs urbains à retourner vers les zones rurales. Bien que tout ceci concerne principalement les adultes, il est possible que le PFSP ait des effets similaires sur les enfants ; les revenus supplémentaires générés par le PFSP peuvent réduire la tendance des ménages à envoyer leurs enfants vers d’autres foyers pour y être élevés, par nécessité économique, ou peuvent même inciter les ménages à prendre en charge des enfants provenant de d’autres localités.
Il s’agit là de moyens théoriques par lesquels le PFSP peut influencer la taille et les déplacements des ménages. Quel est le rôle de ces facteurs dans l’étude ESSP ? En utilisant un estimateur d’écart des différences, les conclusions de l’étude suggèrent que les ménages participant à la composante travaux publics du PFSP connaissent une augmentation de la taille du ménage de 5,3 pour cent. En désagrégeant ces conclusions par sexe, il apparaît que la participation au programme entraîne une augmentation de 0,176 femmes (significatif au niveau des 5 pour cent) ; l’augmentation chez les hommes (0,095) n’est pas statistiquement significative. En désagrégeant davantage par âge, l’étude montre que l’augmentation chez les femmes dans les ménages du PFSP provient entièrement d’une augmentation des adolescentes (âgées de 12 à 18 ans). En cherchant les raisons derrière cette augmentation (soit une augmentation de la migration interne soit une réduction de l’exode), l’étude montre que dans les ménages qui participent à la composante travaux publics du PFSP, la probabilité que les filles âgées de 12 à 18 ans quittent le ménage est réduite de 4,6 voire 5,7 points de pourcentage ; il ne semble y avoir aucun effet sur la migration interne dans ce groupe d’âge.
Ainsi, selon cette étude, l’augmentation de la taille des ménages constatée dans les ménages participant au PFSP est due uniquement à une augmentation du nombre d’adolescentes (âgées de 12 à 18 ans) qui restent dans les foyers. En examinant les relevés d’enquête – qui identifient les raisons pour lesquelles les membres des ménages quittent ou intègrent le ménage – les auteurs de l’enquête ont montré que pour les femmes, le facteur le plus important qui entraîne l’exode est le mariage. Les auteurs soutiennent que la participation au PFSP peut inciter les ménages à retarder le mariage des filles adolescentes pour deux raisons. Premièrement, comme cela a été noté précédemment, l’augmentation des revenus peut inciter les parents à investir plus dans l’éducation des enfants ; ainsi, le PFSP peut permettre aux parents de continuer à envoyer leurs filles adolescentes à l’école. Deuxièmement, les adolescentes peuvent s’avérer plus utiles à la maison pour aider aux tâches ménagères pendant que les autres adultes participent à la composante travaux publics du programme.
L’étude ESSP souligne la complexité des programmes de protection sociale tels que le PFSP et indique la nécessité de prendre en compte des changements multiples potentiels entraînés par ces programmes. Il ne suffit pas, par exemple, d’examiner uniquement les effets du programme sur la taille des ménages ; pour véritablement comprendre l’impact du PFSP sur la démographie des ménages, il convient d’examiner plus en détails les déterminants de ces effets.