Au lendemain de la crise alimentaire de 2008, de nombreux législateurs et experts en développement ont concentré leurs efforts vers l’amélioration des capacités et de la résilience des chaînes de valeur domestiques alimentaires. En Afrique de l’Ouest, l’attention a été portée sur le riz. Etant donné que ce dernier représente l’un des aliments de base les plus importants de la région, le but recherché était d’augmenter les investissements afin de stimuler la production domestique de riz et de réduire la dépendance en importations, permettant ainsi d’améliorer la sécurité alimentaire.
D’après une nouvelle étude publiée dans Global Food Security , le développement des chaînes de valeur dans le secteur du riz en Afrique de l’Ouest a varié d’un pays à un autre. De plus, la région continue de faire face à d’importants défis en terme d’efficacité des politiques publiques, des mécanismes financiers, et des technologies permettant d’améliorer les chaînes de valeur du riz. Plus de recherche et d’investissements seront nécessaires afin de permettre à ces chaînes de valeur d’être compétitive par rapport aux importations en termes de qualité, d’efficacité, de coût et d’échelle.
Cette étude analyse les investissements publics et privés dans les usines de transformations de riz modernes, l’agriculture contractuelle, et l’intégration verticale de 15 pays de l’Afrique de l’Ouest. Dans un compte rendu sur les tendances récentes de production et de consommation de riz, le rapport montre qu’en moyenne, la croissance annuelle de production de riz dans les pays étudiés était de 10.1% entre 2009 et 2019. Les taux de croissance les plus importants étant au Nigéria, au Sénégal, au Mali, au Ghana, et en Côte d’Ivoire, avec une moyenne comprise entre 9.% et 19.4% par an. Cette croissance provenait principalement d’une augmentation des terres réservées à la culture du riz plutôt que d’une augmentation de la productivité.
Malgré cette augmentation de la production, l’Afrique de l’Ouest a continué d’enregistrer un déficit de riz durant la dernière décennie. En effet, l’étude montre que la région est devenue plus, au lieu de moins, dépendante des importations de riz. Dans les années 1960, la part de riz importé dans la consommation totale de la région était de 20% ; en 2009, elle avait atteint 46%. Les importations de riz ont légèrement diminué au Sénégal, au Mali, en Mauritanie, et en Guinée-Bissau entre 2009 et 2019, mais ont augmenté dans tous les autres pays étudiés durant cette même période temporelle. A l’heure actuelle, l’Afrique de l’Ouest est le deuxième plus grand importateur de riz derrière la Chine.
Les dangers de cette sur-dépendance en importations de riz sont devenus extrêmement clairs pendant la crise alimentaire de 2008, lorsque les prix du riz dans la région ont triplé en quelques semaines. En réaction à cette hausse des prix, les législateurs d’Afrique de l’Ouest ont créé la Coalition pour le Développement du Riz Africain et ont développé des Stratégies de Développement Nationales du Riz (NRDS) afin de moderniser les chaînes de valeur domestiques, de répondre à la demande domestique et d’améliorer la sécurité alimentaire. Ces stratégies ont apportées des changements principalement techniques et organisationnels afin de réduire les coûts de production et d’augmenter la quantité de riz produite. Les mesures comprenaient un meilleur accès aux matières premières (graines, fertilisants) pour aider les petits agriculteurs à augmenter la production des rizières et des investissements afin d’augmenter la surface dédiée à la production de riz. Les agents publics et privés ont également investis dans des technologies industrielles de mouture conçues pour améliorer la qualité du riz domestique blanchi.
A partir d’un ensemble d’indicateurs, l’étude a classifié chacun de ces 15 pays en fonction des améliorations apportées aux chaînes de valeur : (a) dynamique, (b) modéré, (c) inexistant. Le Nigéria et le Sénégal étaient classifiés comme « dynamique » ; le Ghana, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, la Libéria, le Niger, la Sierra Leone, le Bénin et le Togo étaient classifiés en tant que « modéré » ; la Guinée, la Mauritanie, la Gambie, et la Guinée-Bissau en tant qu’ « inexistant ».
Plusieurs facteurs ont été identifiés comme des éléments clefs dans le statut attribué à la modernisation des chaînes de valeur du riz de ces pays. L’étude montre que la modernisation est plus dynamique dans les pays où les investissements directs à l’étranger (IDE) sont plus importants. De plus, elle explique que les barrières culturelles liées à la consommation de riz domestique (c’est-à-dire les préférences des consommateurs) jouent un rôle significatif sur le niveau d’IDE, alors que les barrières physiques (par exemple, le fait d’être un pays sans accès à la mer) n’ont pas d’impact. La coordination verticale, telle que l’agriculture contractuelle, est également un facteur important de réussite dans la modernisation des chaînes de valeur ; au Sénégal et au Nigéria, la coordination verticale a amélioré la capacité des meuniers à produire du riz paddy de bonne qualité en leur offrant des graines de bonne qualité, des fertilisants et des conseils techniques. Cependant, l’agriculture contractuelle en elle-même est peu répandue ; sur les 15 pays étudiés, seuls 8 pays ont mis en place des procédés d’agriculture contractuelle dans les chaînes de valeur du riz, et ces programmes touchaient environ 9% des cultivateurs de riz.
Cet article propose plusieurs recommandations politiques pour les pays de l’Afrique de l’Ouest afin de les aider à répondre aux défis spécifiques aux chaînes de valeur du riz et de promouvoir une modernisation réussie et soutenable. Tout d’abord, la structure de l’agriculture contractuelle et les programmes d’intégration verticale doivent prendre en compte les préférences des cultivateurs pour des facteurs tels que le timing et le paiement des matières premières. Ces programmes doivent également se concentrer sur l’amélioration de la qualité de vie des cultivateurs afin que ces derniers y adhèrent plus fréquemment. Les contrats devraient se concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité de riz paddy produit pour la mouture. Enfin, des systèmes de contrôle et d’exécution des contrats doivent être mis en place pour encourager les cultivateurs et les meuniers à les honorer.
Deuxièmement, de nouveaux investissements sont nécessaires afin d’aider les meuniers à s’adapter et à utiliser les nouvelles technologies. Ceci inclut des investissements dans des formations locales et des services de soutien, ainsi que pour permettre la disponibilité locale de pièces détachées et des capacités de maintenance.
Troisièmement, le secteur du riz en Afrique de l’Ouest a besoin de mécanismes financiers plus robustes et faciles d’accès pour les cultivateurs et les meuniers. Ceci freine l’adhésion massive de l’agriculture contractuelle et des programmes d’intégration verticale, et réduit les opportunités de modernisation des chaînes de valeur. Faciliter l’accès au crédit pour les cultivateurs et les meuniers pourrait augmenter leur engagement dans des chaînes de valeur plus profitables.
Enfin, les chaînes de valeur du riz en Afrique de l’Ouest consistent à la fois en de petits producteurs et en de larges exploitants. Les législateurs devraient mettre en place des mesures qui soient bénéfiques et équitables pour tous les acteurs de la chaîne de valeur de la région.
En investissant plus dans la recherche de politiques optimales, dans des mécanismes de coordination et de financement, et dans des technologies soutenant les chaînes de valeur, les législateurs ouest-africains pourraient permettre aux chaînes de valeur de riz de la région d’être compétitives par rapport aux importations globales de riz. Ceci pourrait aider la région à atteindre ses objectifs pour la phase 2 des NRDS, qui appelle à doubler la production de riz en Afrique Subsaharienne d’ici 2030.
Sara Gustafson est auteure indépendante.