Réformer la vulgarisation agricole pour construire des systèmes alimentaires résilients et durables : Perspectives issues des consultations nationales et internationales

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Les systèmes alimentaires du monde entier sont confrontés à des défis de plus en plus importants. Ils doivent être transformés pour nourrir durablement une population mondiale croissante et être plus résistants aux chocs, qu'il s'agisse de conditions météorologiques extrêmes ou de conflits. Les efforts sur ces fronts sont de plus en plus liés et dépendent d'interventions locales bien ciblées.
Ceux-ci dépendront à leur tour de l'efficacité des services de vulgarisation nationaux opérant sur le terrain avec les agriculteurs. Malheureusement, les services de vulgarisation rurale sont confrontés à une série de problèmes qui limitent leur rôle potentiel dans la transformation des systèmes alimentaires. Ils sont confrontés à des budgets réduits et disposent généralement de faibles capacités techniques et fonctionnelles, de compétences non techniques et d'une mauvaise coordination. Ils n'ont pas de liens étroits avec les sources et les institutions de recherche (Davis et al, 2020; Jayne et al, 2023; Ledermann et al, 2024; FAO, 2021; Dhital, 2017). De nombreux documents et politiques nationaux sur le SAF ne mentionnent même pas explicitement les services de vulgarisation.
Une récente série de consultations nationales et d'événements internationaux organisés par l'IFPRI et ses collaborateurs, notamment l'Institute for Integrated Development Studies (IIDS) (Népal), l'Université agricole du Tamil Nadu (Inde), le gouvernement américain, le Global Methane Hub et Abt Global, ont exploré ces défis et les moyens de les relever. Les consultations ont rassemblé des décideurs politiques, des praticiens et des chercheurs en Azerbaïdjan, au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Malawi et au Népal de 2022 à 2024, dans le but général de promouvoir l'apprentissage sud-sud.
Collectivement, les consultations ont abordé une question majeure: Comment les systèmes agricoles et alimentaires (SAF) peuvent-ils renforcer leur résilience pour faire face aux vulnérabilités, aux risques et aux menaces croissants, et assurer une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable pour les générations actuelles et futures? L'accent a été mis sur la nécessité de réorienter les systèmes de recherche et de vulgarisation existants afin de contribuer à une transformation plus résiliente et durable des SAF.
Les connaissances locales et autochtones sont des éléments essentiels pour accroître la production durable et promouvoir la résilience des écosystèmes (UNFSSS), et les systèmes de vulgarisation sont idéalement positionnés pour se concentrer sur ces domaines. Sur la base des consultations, ce billet souligne les questions, les défis et les opportunités spécifiques pour la réforme des systèmes de vulgarisation qui peuvent jouer un rôle accéléré dans la transformation du SAF dans les pays du Sud.
Une approche pluridisciplinaire est essentielle à la réussite de la vulgarisation dans le contexte du renforcement de la résilience.
Les systèmes de vulgarisation peuvent jouer un rôle important en reliant les objectifs liés au SAF à l'action sur le terrain. Mais à l'heure actuelle, peu d'entre eux s'attellent à cette tâche.
Bien qu'ils aient bénéficié d'un financement public important sur le long terme (malgré les baisses récentes), les systèmes de vulgarisation n'ont fait qu'une utilisation stratégique limitée de ces ressources, se concentrant largement sur leur rôle traditionnel de fourniture de services saisonniers et de conseils aux agriculteurs. Entre-temps, le secteur privé et les organisations à but non lucratif se sont davantage impliqués dans la fourniture de services de vulgarisation, mais ils se concentrent toujours sur des chaînes de valeur spécifiques et sur la fourniture d'intrants. Ils accordent beaucoup moins d'attention aux questions transversales telles que l'inclusion et l'accès à la vulgarisation pour les groupes vulnérables dans les zones reculées. En outre, les efforts de vulgarisation privés n'ont pas l'ampleur et la capacité nécessaires pour relever les défis croissants et évolutifs liés à la résilience des systèmes alimentaires.
Pour combler cette insuffisance et pousser les systèmes de vulgarisation existants à relever les grands défis du système alimentaire, les gouvernements devraient adopter une approche multidisciplinaire et multisectorielle. Les ministères sectoriels chargés de l'alimentation, de l'agriculture, de la sylviculture, de l'irrigation, des ressources en eau, de l'élevage et de la météorologie, ainsi que les institutions du système national de recherche et d'innovation agricoles, devraient travailler avec le système de vulgarisation et sur le terrain pour soutenir les agriculteurs et les autres acteurs de la chaîne de valeur. Si les premiers efforts dans ce domaine sont prometteurs, il convient de les intensifier et de les mettre en œuvre le plus rapidement possible pour atteindre les objectifs de transformation des systèmes alimentaires (voir, par exemple, les documents de discussion de l'IFPRI sur le Myanmar et l'Afghanistan). De tels efforts nécessiteront également des mécanismes financiers innovants pour soutenir des interventions continues.
Faciliter les partenariats pour renforcer l'échelle et l'impact des systèmes de vulgarization
Les partenariats internationaux constituent une autre source de levier pour l'amélioration des systèmes de vulgarisation. Ils peuvent en effet permettre de défendre des politiques et des stratégies, de développer des capacités et d'intervenir en matière de financement. Il s'agit notamment de partenariats entre des organisations multilatérales et bilatérales et des organisations régionales telles que l'Union africaine, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et l'Initiative de la baie du Bengale pour la coopération technique et économique multisectorielle (BIMSTEC) en Asie du Sud, par exemple.
Les institutions financières multilatérales peuvent soutenir le développement de systèmes de vulgarisation par le biais de programmes ciblant des chaînes de valeur spécifiques. Le secteur privé peut mobiliser des investissements pour des actions spécifiques telles que la gestion des pertes alimentaires et des déchets dans les chaînes de valeur agricoles. Les partenariats public-privé encouragent les pratiques innovantes pour les petits exploitants, telles que l'agriculture régénératrice et les solutions basées sur la nature, et renforcent les partenariats au niveau local afin de fournir des connaissances techniques et de garantir la responsabilité des autorités locales.
Développer l'engagement des systèmes de vulgarisation avec le secteur privé pour soutenir activement les agriculteurs
La création de SAF résistants et durables est de plus en plus motivée par les innovations du secteur privé, mais les systèmes publics de vulgarisation ne s'engagent pas efficacement dans ce processus.
Un exemple est le lien entre les agriculteurs et les marchés mondiaux du carbone. Les investisseurs privés ont développé des technologies qui mesurent le carbone du sol en utilisant l'intelligence artificielle et les technologies satellitaires ; ils travaillent souvent avec des groupes d'agriculteurs pour les aider à adopter de meilleures pratiques de séquestration du carbone. Ces interventions contribuent à accroître la productivité des petits exploitants tout en améliorant la résilience des systèmes de production. Les revenus tirés des pratiques culturales intelligentes peuvent également aider les agriculteurs à obtenir des crédits carbone vendus sur les marchés internationaux du carbone.
Pourtant, les services de vulgarisation ne jouent généralement aucun rôle dans ces efforts. La collaboration entre les systèmes publics de vulgarisation et les entreprises privées de technologie et de vérification du carbone est essentielle pour garantir que les agriculteurs adoptent des pratiques respectueuses du climat et participent aux marchés du carbone.
Une telle collaboration impliquera d'augmenter à la fois la quantité et la qualité des services de vulgarisation. Cela nécessite également de nouveaux modèles de combinaison de mécanismes politiques, institutionnels, de gouvernance, de développement des capacités et d'investissement qui soient transparents et mutuellement responsables (par exemple, cet effort de réforme de la vulgarisation au Nigéria).
Fournir aux systèmes de vulgarisation des ressources suffisantes pour agir sur le terrain
Depuis des années, les ressources allouées aux systèmes publics locaux de vulgarisation ont diminué dans de nombreux pays en développement. Pourtant, ces pays sont les plus vulnérables à l'insécurité alimentaire et à la faim et sont souvent touchés par des phénomènes climatiques extrêmes et d'autres catastrophes.
Les agents de vulgarisation sur le terrain travaillent souvent avec peu de ressources. Ils ont besoin d'un financement cohérent et solide pour s'assurer que les recherches, les technologies et les informations pertinentes et disponibles parviennent rapidement aux agriculteurs.
Les gouvernements devraient faire des services de vulgarisation une priorité de financement, en particulier dans le contexte de l'encouragement des pratiques agricoles résilientes.
Travailler avec les décideurs politiques nationaux pour donner la priorité au financement de la vulgarisation dans les ministères de l'agriculture est une première étape importante. Les ministères devraient fournir aux agents des incitations au travail de base, notamment des indemnités de transport et de sécurité, des salaires compétitifs et des possibilités d'évolution de carrière. Une autre priorité essentielle devrait être le renforcement de la connectivité numérique de la vulgarisation afin d'atteindre les régions géographiques éloignées.
Assurer la responsabilité des agriculteurs
Actuellement, la plupart des systèmes publics de vulgarisation sont mal équipés pour rendre leurs propres agents responsables devant les agriculteurs. Le renforcement de la responsabilité est essentiel à la poursuite de la transformation du SAF et au renforcement de la résilience.
Les services de vulgarisation doivent fonctionner dans le cadre d'une structure de gouvernance efficace impliquant la définition du champ d'application, la conception, la planification et la mise en œuvre des services. Dans ce contexte, un système de suivi et d'évaluation (S&E) est essentiel pour la communication régulière de données, d'études de cas, d'analyses et de meilleures pratiques. Pour garantir la responsabilité, les agriculteurs et les organisations d'agriculteurs doivent être activement impliqués dans le processus de suivi et d'évaluation, en aidant à identifier les lacunes, à documenter le retour d'information et à évaluer les progrès. Cette approche devrait aboutir à des services de vulgarisation davantage axés sur la demande.
Les services de vulgarisation numérique et l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle peuvent renforcer l'autonomie des agriculteurs
La vulgarisation numérique - sous la forme de services de vulgarisation virtuels et d'applications mobiles - peut fournir des informations aux agriculteurs sur toute une série de sujets, notamment la gestion des cultures, l'élevage, la commercialisation et la fixation des prix. Les solutions basées sur l'IA peuvent contribuer à améliorer le rapport coût-efficacité et les prestations des systèmes de vulgarisation existants. Par exemple, Digital Green a développé un assistant alimenté par l'IA qui aide les agents de vulgarisation à visualiser les tâches à venir, à enregistrer les commentaires et les questions des agriculteurs, et à récupérer des informations consultatives pour répondre à ces questions. Digital Green développe actuellement une application de chatbot pour répondre aux questions sur l'agriculture et traduire le contenu scientifique et technique en conseils.
Les applications de vulgarisation numérique peuvent également aider les agriculteurs à accéder aux informations sur les prix du marché afin de réduire les risques liés à l'agriculture, de protéger leurs entreprises contre les catastrophes naturelles et d'économiser des investissements. Enfin, les services de vulgarisation numérique peuvent être une source de connaissances sur les régimes alimentaires sains et l'éducation nutritionnelle qui peuvent renforcer l'infrastructure humaine (Noma and Babu, 2024).
Soutenir le renforcement de la résilience pour garantir la réalisation des objectifs du secteur agricole
Les stratégies agricoles nationales devraient se concentrer sur la gestion résiliente et durable des ressources naturelles et des pertes et déchets alimentaires, et renforcer le rôle de la vulgarisation dans ces efforts. Le renforcement de la résilience dans le secteur agricole nécessite une communication tripartite entre les agriculteurs, les professionnels de la vulgarisation et les chercheurs.
Étant donné la vulnérabilité du secteur agricole à la pénurie d'eau et à l'érosion des sols, les gouvernements devraient promouvoir des interventions telles que des variétés de cultures résistantes, la gestion du bétail, les engrais organiques et des techniques efficaces de gestion de l'eau telles que la collecte des eaux de pluie et l'irrigation au goutte-à-goutte.
Dans le secteur du riz, par exemple, l'administration locale et les systèmes de vulgarisation ont la possibilité de former les agriculteurs à une utilisation efficace de l'eau. Le soutien des systèmes de vulgarisation à la promotion des systèmes d'alerte précoce peut aider les agriculteurs à prendre des décisions opportunes et fondées sur des données probantes en matière de préparation aux catastrophes et de gestion des risques. À cette fin, le système de vulgarisation doit être étroitement intégré aux systèmes locaux d'alerte précoce. Les agents de vulgarisation devraient recevoir une formation sur ces systèmes et sur la manière de partager les informations essentielles avec les agriculteurs. Dans le même temps, les agents peuvent également contribuer à la collecte de données pertinentes au niveau de l'exploitation pour la création d'indicateurs d'alerte précoce.
Améliorer les compétences techniques du personnel de vulgarisation pour relever les défis de la résilience et de la durabilité
Lors des consultations, un consensus s'est dégagé sur la nécessité d'une réorientation et d'une réorganisation générales des systèmes de vulgarisation pour atteindre les objectifs de durabilité et de renforcement de la résilience. Un élément clé de ces réformes devrait être l'amélioration des connaissances techniques des agents de vulgarisation. Les décideurs politiques devraient envisager de former régulièrement le personnel de vulgarisation à la durabilité et au renforcement de la résilience.
De manière plus générale, les pays devraient chercher à cultiver une nouvelle génération de professionnels de la vulgarisation qui vont au-delà de l'approche traditionnelle axée sur la production et la technologie et qui peuvent développer des innovations stratégiques axées sur la transformation durable des SAF. Pour ce faire, il faudra réévaluer les programmes universitaires de vulgarisation dans l'ensemble des pays du Sud afin de les adapter aux concepts et aux approches actuels.
Conclusion
La transformation des systèmes alimentaires et agricoles au XXIe siècle dépendra dans une large mesure des services de vulgarisation. Or, les modèles de vulgarisation sont dépassés et insuffisamment financés. Dans de nombreux pays, les services de vulgarisation ne sont pas en mesure de relever les défis identifiés ci-dessus. Il est donc essentiel de réformer et de financer les systèmes de vulgarisation pour relever ce nouvel ensemble de défis, et les consultations menées par l'IFPRI ont clairement défini les grandes lignes du changement. À l'avenir, les pays qui souhaitent s'appuyer sur ces recommandations pour transformer leurs systèmes alimentaires de manière résiliente et durable devraient se concentrer sur l'élaboration de politiques et de stratégies spécifiques pour répondre à leurs conditions et contextes locaux uniques.
Suresh Chandra Babu est chercheur principal au sein de l'unité Stratégies de développement et gouvernance (DSG) de l'IFPRI et responsable du renforcement des capacités.; Nandita Srivastava est analyste chez DSG Research. Les opinions sont celles des auteurs.
This work was supported by the U.S. government and Global Methane Hub.
Ce travail a été soutenu par le gouvernement américain et le Global Methane Hub.