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Moteur de l’adaptation agricole

L’agriculture en Afrique de l’Ouest est confrontée à de nombreux défis, y compris la dégradation des sols, l’instabilité du marché et les menaces importantes liées au changement climatique.  En réponse aux obstacles, de nombreuses stratégies d’adaptation, telles que la production de variété de cultures non traditionnelles, ont été encouragées. Ce qui demeure moins clair, cependant, c’est la motivation réelle des agriculteurs qui prennent la décision d’adopter (ou de ne pas adopter) ces stratégies. Par exemple, un agriculteur peut choisir de planter une nouvelle variété de cultures suite à une sécheresse à court-terme ou dans le cadre d’une stratégie à long terme d’adaptation au changement climatique.

Selon un nouvel article du magazine Regional Environmental Change, comprendre pourquoi les agriculteurs de la région ont adopté certaines pratiques agricoles peut aider à mieux alimenter les programmes et les politiques de promotion d’une adaptation proactive face aux défis tels que le changement climatique et l’instabilité des marchés. Plus spécifiquement, les auteurs soutiennent que les décideurs politiques doivent s’atteler à mieux comprendre le rôle des défis environnementaux et socioéconomiques dans les décisions d’adaptation agricole des agriculteurs.

L’étude se penche sur 700 ménages agricoles dans les zones sahéliennes et soudaniennes du Sénégal, du Ghana, du Burkina Faso, du Niger et du Mali ; ces régions connaissent toutes deux saisons distinctes, dont une saison des pluies qui dure entre trois et six mois. L’agriculture dans ces zones est principalement pluviale et généralement pratiquée par les agriculteurs petits producteurs.

Les auteurs ont montré qu’au cours des dix dernières années, les pratiques agricoles dans ces pays se sont rapidement transformées. En effet, les agriculteurs de ces pays ont adopté en moyenne 11 nouvelles pratiques agricoles liées au type de culture, au type de variété, à l’utilisation et à la gestion des terres. Les agriculteurs au Ghana ont adoptés 15 nouvelles pratiques en moyenne, alors que les agriculteurs au Mali étaient moins enclins à s’adapter, avec seulement cinq nouvelles pratiques adoptées en moyenne.

Soixante-dix pour cent des agriculteurs concernés dans le groupe d’étude ont adopté des changements relatifs aux cultures telles que l’introduction d’une nouvelle culture (50 pour cent) ou l’arrêt de la production d’une culture (27 pour cent). De plus, les nouvelles cultures adoptées étaient généralement des cultures de rentes telles que le sésame, les graines de soja et les arachides. Quatre-vingt-deux pour cent des agriculteurs ont planté de nouvelles variétés de cultures ; entre autres, des variétés avec des rendements plus élevés et une meilleure tolérance à la sécheresse. Enfin, 95 pour cent des agriculteurs ont adopté des pratiques liées à l’utilisation et à la gestion des terres, y compris l’utilisation de fumier et d’engrais minéraux, l’expansion ou la réduction des zones de culture, la rotation des cultures et la mécanisation des fermes. Les pratiques d’utilisation et de gestion des terres étaient généralement mises en œuvre dans la production de cultures de base (sorgho, mil et maïs).

En ce qui concerne les motivations incitant les agriculteurs à adopter ces nouvelles pratiques, 75 pour cent des agriculteurs interrogés dans le cadre de l’enquête ont cité la faible productivité et/ou disponibilité des terres ; ces facteurs semblent être ceux qui pèsent le plus dans les décisions liées à la production de cultures de base. D’après 71 pour cent des agriculteurs, les facteurs liés au marché tels que les rendements plus élevés, les meilleurs prix et les nouvelles opportunités de vente, étaient les raisons des changements dans les pratiques agricoles, en particulier pour les cultures de rente. Soixante-deux pour cent des agriculteurs interrogés ont cité les changements liés aux intempéries ou au climat, tels que la sécheresse et les changements de schémas pluviométriques, comme étant la raison de leur adoption des nouvelles pratiques agricoles.

Globalement, l’étude a montré que les changements dans les pratiques agricoles en Afrique de l’Ouest semblent caractérisés par trois facteurs :

  1. L’adaptation progressive face aux défis socio-économiques et climatiques : Bien que les pratiques agricoles de la région aient connu des changements rapides au cours des 10 dernières années, l’étude a montré que ces changements sont davantage orientés vers des solutions à long terme telles que la modification des variétés de cultures ou l’utilisation d’intrants agricole. Des pratiques qui pourraient mener à une transformation plus durable du secteur agricole, telles les pratiques de protection des eaux et des sols ou la mécanisation agricole, n’ont été que faiblement adoptées par les agriculteurs objets de l’étude. Selon l’auteur, ces éléments suggèrent que les décisions des agriculteurs ne prennent pas en compte les changements structurels à plus long terme causés par le changement climatique et la croissance de la population. Par conséquent, la transformation agricole dans la zone devrait faire l’objet d’une action de politique publique plus importante et ne devrait pas dépendre simplement des décisions autonomes des agriculteurs.
  2. Des réponses spécifiques au contexte : L’adoption par les agriculteurs de nouvelles pratiques variait aussi selon les pays. Alors que les agriculteurs au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal ont adopté l’utilisation du fumier biologique et du compost, les agriculteurs au Ghana se sont plus concentrés sur l’adoption de nouvelles variétés de culture. Ceci suggère que pour encourager l’adaptation agricole, les décideurs politiques et les experts en développement devront prendre en compte les conditions socio-économiques et environnementales spécifiques de chaque pays et chaque région en particulier dans l’élaboration de nouveaux programmes ou l’intensification des programmes existants. Les auteurs appellent également à d’autres recherches pour déterminer les conditions spécifiques de manière plus exhaustive.
  3. Réponses à usage multiple : Sur 15 pratiques, l’étude a montré que 11 ont été adoptées à cause des circonstances du marché (de meilleurs prix ou plus d’opportunités de marché), alors que neuf étaient liées à des facteurs climatiques. Huit des quinze pratiques ont été adoptées en raison des problèmes de productivité/disponibilité des terres. Une analyse plus approfondie a révélé que la plupart des changements observés sont apparus suite à une combinaison de ces facteurs ; l’enquête a montré qu’aucune pratique agricole n’est basée sur un seul moteur. Par conséquent, on peut dire que les changements observés dans l’agriculture en Afrique de l’Ouest au cours des dernières années ont été suscités à la fois par des facteurs environnementaux et par des facteurs socio-économiques.

 

Ces conclusions ont des implications importantes pour les décideurs politiques de la région. Premièrement, il est important que les agriculteurs disposent des informations adéquates permettant de prendre des décisions d’adaptation qui minimisent leurs risques et maximisent leurs opportunités face aux changements climatiques et démographiques. Il faudra, pour ce faire, plus de campagnes d’éducation et de sensibilisation, plus d’infrastructures de communication dans les zones rurales, pour rendre  l’information accessible.

Deuxièmement, étant donné que les facteurs environnementaux et socio-économiques entraînent des pratiques agricoles changeantes dans la région, les décideurs politiques et les experts en développement devraient se concentrer sur les programmes et les politiques qui encouragent le développement des marchés agricoles et qui améliorent les informations liées aux intempéries et au climat. De plus, ces programmes et ces politiques doivent être adaptés aux conditions spécifiques dans chaque pays et chaque région pour assurer la promotion et l’adoption des innovations agricoles appropriées.