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Le manque de données sur la santé et la nutrition en Éthiopie et ses conséquences pour la santé publique

Dans un monde où les données déterminent les décisions, on ne saurait trop insister sur l'importance de disposer de données de qualité sur la santé et la nutrition. Des données fiables constituent l'épine dorsale de l'élaboration de politiques efficaces, de la planification des interventions et de l'allocation des ressources, autant d'éléments essentiels à l'amélioration des résultats en matière de santé publique. Pour l'Éthiopie, un pays aux prises avec d'importants problèmes de santé et de nutrition, la nécessité de disposer de données cohérentes, précises et opportunes n'a jamais été aussi urgente. Cependant, un écart important persiste entre les données officielles collectées par le système d'information sur la gestion de la santé (HMIS) - principalement à l'aide de la plateforme nationale en ligne District Health Information Software 2 (DHIS2) - et les estimations obtenues à partir de données d'enquêtes indépendantes. Ce manque de qualité des données nationales sur la santé et la nutrition compromet les efforts déployés pour relever efficacement ces défis.

Ce billet, qui s'appuie sur une étude récente publiée dans PLOS One, explique pourquoi cette lacune existe, en quoi elle est importante et présente des solutions potentielles pour la combler. En s'attaquant à ces problèmes, l'Éthiopie peut ouvrir la voie à de meilleurs résultats en matière de santé et à une prise de décision plus éclairée.

Le besoin de données de haute qualité dans le secteur de la santé et de la nutrition

Des données de qualité sont à la base de systèmes de santé et de nutrition solides, permettant aux décideurs politiques et aux responsables de programmes d'élaborer, de déployer et de suivre des interventions efficaces. Par exemple, le suivi des indicateurs de taux de malnutrition, de retard de croissance (taille insuffisante par rapport à l'âge), d'émaciation (poids insuffisant par rapport à l'âge) et de nutrition maternelle est essentiel pour identifier les lacunes et orienter les efforts là où ils sont le plus nécessaires. Des données fiables ne sont pas seulement une exigence technique: elles sont indispensables pour garantir des interventions sanitaires équitables et efficaces, en particulier pour les populations les plus vulnérables.

Pourtant, notre étude révèle que les données de routine sur la santé et la nutrition provenant du HMIS et du DHIS2 en Éthiopie sont souvent incohérentes, incomplètes et tardives. Ce manque de données entrave la prise de décisions efficaces, ce qui se traduit par des inefficacités et des occasions manquées de s'attaquer à des problèmes de santé critiques.

Ce que nous avons fait: Une étude pour comprendre la qualité des données sur la santé et la nutrition

Pour évaluer la qualité des données sur la santé et la nutrition en Éthiopie, nous avons synthétisé les preuves existantes en effectuant un examen systématique des études sur les données HMIS du pays à partir de 2015. Nous avons interrogé des bases de données telles que PubMed, HINARI et Google Scholar, en nous concentrant sur les principaux paramètres de qualité des données définis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : L'exhaustivité, la cohérence et l'actualité des données. Sur les 1 790 articles examinés, nous avons sélectionné 25 études qui répondaient aux objectifs de l'étude et aux critères d'inclusion, et qui couvraient différentes régions d'Éthiopie. Cette analyse complète a fourni des informations précieuses sur l'état actuel de la qualité des données HMIS et son impact sur le suivi de la santé et de la nutrition.

Ce que nous avons trouvé : Principales conclusions de l'étude

Notre étude a révélé des lacunes importantes dans la qualité des données de routine sur la santé et la nutrition en Éthiopie. L'exhaustivité des rapports (la mesure dans laquelle toutes les données requises sont présentes de manière précise et complète dans un ensemble de données) variait considérablement, allant de 50 % à 100 %. Seules 21 % des études basées sur les données du HMIS ont obtenu des scores supérieurs à 90 %, un chiffre préoccupant compte tenu de la nécessité de disposer de données complètes pour guider la prise de décision. La cohérence des données (uniformité et précision) était un autre problème majeur, la cohérence interne allant de 38,9 % à 90,5 %. Seules 6 % des études ont obtenu un score supérieur à 90 %, ce qui met en évidence des problèmes tels que les divergences entre les indicateurs et le manque d'harmonisation entre les sources de données.

L'actualité des rapports était également problématique, allant de 41,9 % à 93,7 %. Plus de la moitié des études ont obtenu des scores inférieurs à 80 %, ce qui empêche de prendre des décisions éclairées en temps réel sur les interventions sanitaires. Ce résultat indique que les retards dans la communication des données peuvent conduire à des occasions manquées d'interventions opportunes, compromettant potentiellement l'efficacité des réponses et des résultats en matière de santé.

Une préoccupation majeure est que, contrairement aux nombreuses études portant sur les données de santé dans le pays, il y a un manque notable de recherche examinant la qualité des données nutritionnelles aux niveaux national et sous-national. Les quelques études qui ont inclus des données nutritionnelles n'ont pas montré d'amélioration par rapport à celles qui se sont concentrées sur d'autres composantes des données de santé, ce qui met en évidence une lacune importante dans ce domaine essentiel de la surveillance de la santé. Par exemple, les données nutritionnelles souffrent souvent des mêmes problèmes d'incomplétude, d'incohérence et de retard que les autres données sanitaires, ce qui entrave la capacité à suivre avec précision les progrès ou à concevoir des interventions ciblées et efficaces. Cela souligne l'urgence d'efforts ciblés pour améliorer la qualité des données nutritionnelles afin d'obtenir de meilleurs résultats en matière de santé.

Ce manque de données sur la nutrition est particulièrement alarmant compte tenu du poids élevé de la malnutrition et de l'insécurité alimentaire en Éthiopie. Sans données nutritionnelles précises et actualisées, les décideurs politiques et les planificateurs de la santé ont du mal à identifier les populations à risque, à allouer efficacement les ressources et à contrôler l'impact des programmes de nutrition. Ce manque de données fiables sape non seulement les efforts de lutte contre la malnutrition, mais perpétue également les cycles de mauvais résultats sanitaires, en particulier chez les enfants et les mères.

Ces résultats mettent en évidence des lacunes alarmantes dans le HMIS éthiopien, en particulier en ce qui concerne l'exhaustivité, la cohérence et l'actualité des données. Les causes profondes de ces lacunes sont notamment les contraintes en matière de capacités et de ressources, ce qui souligne le besoin urgent d'améliorations systémiques pour renforcer la qualité des données et favoriser une prise de décision efficace dans le domaine de la santé. Il est essentiel de combler ces lacunes, notamment en ce qui concerne les données nutritionnelles, pour améliorer les résultats en matière de santé et faire en sorte que les interventions atteignent ceux qui en ont le plus besoin.

Le manque de données en Éthiopie : Que faut-il faire ?

Les résultats de cette étude sont clairs : le HMIS de l'Éthiopie, y compris les données nutritionnelles, est en crise. Toutefois, ce défi n'est pas insurmontable. Des mesures concrètes peuvent être prises pour améliorer la qualité des données et combler le fossé entre les données sanitaires de routine et les estimations des enquêtes.

Premièrement, des ressources adéquates doivent être allouées pour améliorer l'infrastructure, la technologie et les ressources humaines en vue d'une collecte et d'une communication fiables des données. Deuxièmement, les travailleurs de la santé ont besoin d'une formation complète qui ne se limite pas à l'amélioration de leurs capacités techniques. Cette formation doit comprendre non seulement des compétences techniques en matière de collecte, de communication et d'analyse des données, mais aussi une formation comportementale et motivationnelle. Si l'amélioration des capacités techniques est cruciale pour un traitement précis des données, il est tout aussi important de favoriser un état d'esprit d'appropriation, de responsabilité et d'engagement. Il convient d'intégrer des formations régulières et des cours de remise à niveau, en se concentrant à la fois sur les compétences techniques et sur la motivation afin d'encourager un travail cohérent et de qualité. Troisièmement, une supervision efficace et des boucles de rétroaction régulières sont essentielles pour garantir une meilleure qualité des données. Les superviseurs doivent régulièrement examiner les rapports, offrir un retour d'information constructif et prodiguer des encouragements, afin de créer un environnement favorable qui motive le personnel à maintenir et à améliorer ses performances.

En outre, l'investissement dans des systèmes robustes de gestion des données, des applications de santé mobile et une meilleure connectivité à l'internet permettra d'améliorer l'efficacité, l'actualité et l'exactitude des données. Enfin, des données essentielles sur la nutrition ne sont toujours pas communiquées. Des efforts devraient être déployés pour collecter et communiquer de manière exhaustive les données relatives à la nutrition, afin de garantir que les problèmes clés tels que la malnutrition soient suivis et traités avec précision.

Conclusion

Le manque de données sur la santé et la nutrition en Éthiopie est un problème urgent qui nécessite une attention immédiate. En s'attaquant aux causes profondes des incohérences et en mettant en œuvre des solutions ciblées, le pays peut renforcer son HMIS, améliorer la qualité des données et, en fin de compte, améliorer les résultats en matière de santé publique. Des données fiables ne sont pas simplement un outil - c'est la voie vers un avenir plus sain et plus équitable pour tous les Éthiopiens.

Taddese Zerfu est chercheur à l'unité Stratégies de développement et gouvernance (DSG) de l'IFPRI, basée à Addis-Abeba, en Éthiopie. Les opinions sont celles de l'auteur.

Article référencé :

Zerfu TA, Genye T, Tareke AA (2025) Quality of routine health and nutrition data in Ethiopia: A systematic review. PLoS ONE 20(3): e0316498. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0316498

 

Source: IFPRI.org