Revoir les stratégies de développement dans un contexte d’incertitude climatique : le point de vue du Malawi
Le changement climatique transforme le paysage mondial et crée des défis sans précédent pour les pays en développement. Ces défis sont particulièrement aigus dans les régions où les économies dépendent fortement de l’agriculture, comme l’Afrique subsaharienne, où les impacts climatiques tels que les sécheresses et les conditions météorologiques extrêmes perturbent de plus en plus les économies agricoles et les systèmes alimentaires. L’une des questions cruciales auxquelles sont confrontés les décideurs politiques est de savoir comment relever au mieux ces défis pour assurer un développement durable : la menace du changement climatique compromet-elle considérablement les stratégies axées sur l’agriculture ?
Une étude récente de l’IFPRI publiée dans Climatic Change explore cette question en comparant les stratégies de développement axées sur l’agriculture et celles non axées sur l’agriculture au Malawi, un pays très vulnérable à la variabilité climatique, constatant que les premières surpassent les secondes malgré les incertitudes climatiques.
Cette étude fournit des informations précieuses sur la manière dont différentes stratégies de développement peuvent atténuer ou exacerber les impacts du changement climatique sur la pauvreté et la sous-alimentation, offrant ainsi une perspective cruciale aux décideurs politiques dans des contextes similaires. L’approche démontrée dans cette étude de cas contribue à élargir l’ensemble des outils disponibles pour faire face aux risques et à l’incertitude dans la planification des politiques modernes.
Le dilemme fondamental : développement agricole et non agricole
Le Malawi, comme de nombreux pays à faible revenu, a traditionnellement donné la priorité à la croissance agricole dans ses plans de développement. Malgré certains signes de transformation structurelle, le pays reste essentiellement rural et, dans l’ensemble, l’agriculture joue un rôle important dans la réduction de la pauvreté en raison de ses liens étroits avec les économies rurales. Cependant, la sensibilité de l’agriculture aux impacts du changement climatique constitue un risque important pour cette stratégie. L’étude examine si une approche axée sur l’agriculture reste viable dans un contexte d’incertitude climatique croissante ou si une transition vers des secteurs non agricoles pourrait donner de meilleurs résultats.
Méthodologie : Analyse de dominance stochastique
Pour résoudre ce problème, nous avons utilisé une méthode appelée analyse de dominance stochastique (SD). L’analyse SD permet de comparer différentes stratégies de développement en examinant leurs résultats dans divers scénarios, en tenant compte de l’incertitude associée à chaque scénario. Cette méthode, bien que couramment utilisée en finance, est rarement appliquée à la planification des politiques.
En utilisant le Malawi comme étude de cas, nous avons comparé l'incertitude associée au climat des deux scénarios de développement : l'un se concentrant sur la croissance intensive des secteurs du système agroalimentaire (SAF) du pays, et l'autre se concentrant sur la croissance des secteurs extérieurs au SAF (non-SAF).
Nous avons ensuite modélisé ces scénarios à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable (CGE) dynamique à l’échelle de l’économie, qui a été lié aux données d’enquêtes auprès des ménages pour suivre l’évolution de la pauvreté et de la sous-alimentation.
Résultats : Le développement axé sur l’agriculture continue d’avoir de meilleurs résultats en matière de pauvreté et de sous-alimentation
Les résultats sont éclairants. Malgré des risques intrinsèquement plus élevés, la stratégie de développement axée sur l’agriculture a systématiquement surpassé son antagoniste non axé sur l’agriculture dans presque tous les scénarios climatiques potentiels. Plus précisément, la stratégie de croissance axée sur l’agriculture a montré de meilleurs résultats en matière de pauvreté et de sous-alimentation, presque sans équivoque, même après avoir pris en compte l’incertitude plus élevée associée au climat à l’échelle de l’économie (Figure 1).
Figure 1 : Fonctions de distribution cumulative empiriques
Remarques:
- Les taux de pauvreté et de sous-alimentation correspondent aux parts de la population dont les dépenses de consommation quotidienne équivalentes à celles d'un adulte sont inférieures à 2,15 dollars US (ajustées en fonction de la parité de pouvoir d'achat) ou inférieures au besoin calorique minimum défini par la FAO.
- Deux scénarios climatiques sont envisagés : un scénario « optimiste » (1,5°C) qui suppose que le réchauffement climatique est limité à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, et un scénario « pessimiste » (REF) qui suppose qu'aucune politique explicite d'atténuation du changement climatique n'est mise en œuvre où que ce soit dans le monde. Chaque année de simulation et chaque climat comportent un échantillon de 455 conditions météorologiques possibles, chacune ayant sa propre probabilité.
- Le développement des systèmes alimentaires durables (en pointillés) domine de manière stochastique le développement des systèmes alimentaires non durables (en tirets) dans tous les scénarios climatiques/météo potentiels en termes de résultats de pauvreté à court terme (années 2020) ainsi que de niveaux de sous-alimentation à court et à long terme (années 2020 et 2040). La seule dimension de résultat pour laquelle le développement des systèmes alimentaires durables n'est pas stochastiquement dominant est celle des résultats de pauvreté à long terme (dans des conditions climatiques extrêmes (0,01 % et 0,03 %), la pauvreté dans le cadre du développement des systèmes alimentaires non durables peut être inférieure à celle des systèmes alimentaires durables).
Pourquoi l’agriculture fonctionne encore
La surperformance de la stratégie axée sur l’agriculture par rapport à l’alternative peut être attribuée à plusieurs facteurs :
- Liens avec les économies rurales : L’agriculture a des liens plus forts en amont et en aval dans les zones rurales, qui sont essentiels pour la réduction de la pauvreté.
- Emploi : Une part importante de la population du Malawi dépend de l'agriculture pour sa subsistance. L'augmentation de la productivité agricole profite directement à ces ménages.
- Sécurité alimentaire : L’agriculture joue un rôle clé dans la sécurité alimentaire, et les améliorations dans ce secteur peuvent conduire à de meilleurs résultats nutritionnels pour l’ensemble de la population.
Conclusion
Même si une stratégie de développement axée sur l’agriculture est caractérisée par une plus grande incertitude économique liée au climat, pour un pays comme le Malawi, elle reste efficace pour réduire la pauvreté et améliorer la nutrition. Par conséquent, les stratégies de développement du Malawi ne devraient pas se concentrer sur l’abandon de l’agriculture, mais sur l’examen de diverses options pour la rendre plus résiliente aux chocs climatiques.
L’application de l’analyse du développement durable démontrée dans cette étude souligne également son utilité et son potentiel pour une utilisation plus large dans la planification des politiques, y compris la prise en compte de diverses options politiques dans le domaine agricole lui-même. En intégrant explicitement le risque et l’incertitude dans le processus de prise de décision, les décideurs politiques, à l’aide de l’analyse du développement durable (et/ou d’outils similaires), devraient être en mesure de faire des choix éclairés dans un environnement intrinsèquement/inévitablement incertain tel que le climat futur.
Article cité : Mukashov, A., Thomas, T. et Thurlow, J. Revoir la stratégie de développement dans un contexte d'incertitude climatique : étude de cas du Malawi. Climatic Change 177, 91 (2024). https://doi.org/10.1007/s10584-024-03733-2
Askar Mukashov est chercheur associé et Eleanor Jones est responsable de programme au sein de l'unité de prospective et de modélisation des politiques de l’IFPRI.
Cette étude s’inscrit dans le cadre de l’Initiative de recherche sur la prospective du CGIAR. Les auteurs de l’étude remercient tous les bailleurs de fonds qui ont soutenu cette recherche par leurs contributions au Fonds fiduciaire du CGIAR. Cette publication a également été rendue possible grâce au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates dans le cadre de la subvention « IAT Policy Modeling » INV-018221, et de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) dans le cadre de l’Initiative d’action globale pour le changement climatique.