La production d’aliments sains et nutritifs permettant de nourrir une population africaine croissante et en voie d’urbanisation, de manière durable d’un point de vue économique et environnemental, nécessitera l’utilisation de ressources énergétiques fiables, abordables, et propres. Comment l’Afrique peut-elle assurer à la fois la disponibilité et l’accès à ce type d’énergie, en particulier dans les zones rurales ?
La Gambie a posé cette question lors de la cinquième conférence du Forum Malabo Montpellier , qui s’est déroulée le 17 décembre à Banjul. La discussion a tourné autour d’un récent rapport intitulé « Energisé : des politiques d’innovations pour mener à bien la transformation du système agricole et alimentaire africain » . Ce rapport étudie l’utilisation actuelle de l’énergie dans l’agriculture africaine, souligne les réussites et les défis de six pays d’Afrique (Ethiopie, Ghana, Maroc, Sénégal, Afrique du Sud et Zambie) dans leur développement du secteur de l’énergie pour soutenir l’agriculture rurale, et présente un cadre stratégique pour aider les autres pays de la région à atteindre leurs propres objectifs en matière d’énergie.
L’accès à l’énergie, en particulier à l’électricité, pourrait permettre d’importants changements dans les communautés rurales pauvres. Les petits exploitants pourraient réduire leur temps de travail et leurs efforts physiques pour produire des denrées alimentaires ; ce qui pourrait conduire à des volumes de production plus importants, à une transition vers des cultures à plus hauts rendements, et à des revenus supérieurs. Les femmes bénéficieraient tout particulièrement d’un meilleur accès à l’énergie puisqu’elles perdraient moins de temps à ramasser du bois, ou autre biomasse, pour cuisiner et chauffer leur maison. L’électricité permettrait également d’assainir l’air étant donné que moins de ménages brûleraient de charbon ou utiliseraient de pétrole chez eux ; ceci engendrerait des bénéfices sanitaires et environnementaux.
Conservant ces avantages en tête, certaines personnes en Afrique ont investi durant la dernière décennie afin d’améliorer l’accès à l’énergie. Le nombre d’habitants obtenant un accès à l’électricité dans la région a augmenté de 9 millions par an entre 2000 et 2013 à 20 million par an entre 2014 et 2018, d’après le rapport Malabo. Malgré cette croissance, les taux d’électrification demeurent faibles, tout particulièrement en Afrique Subsaharienne. En 2018, le taux d’électrification de la région était d’environ 45 pourcent, et 80% des foyers sans électricité étaient situés dans des zones rurales. De manière générale, presque 530 millions de personnes au total en Afrique devraient rester sans accès à l’électricité d’ici 2030. Ceci démontre que le continent est en retard par rapport à l’objectifs de développement durable 7.1, qui requiert un accès universel à une énergie abordable, fiable et moderne d’ici 2030. Afin d’atteindre cet objectif, le taux de croissance annuel d’accès à l’énergie en Afrique devrait être de 8,4 pourcent, alors qu’il n’est actuellement que de 5,4 pourcent.
Le rapport Malabo présente toutefois des raisons d’être optimiste. En 2018, presque 5 millions de ménages en Afrique utilisaient des panneaux solaires, et le développement continu de sources d’énergie de petites tailles, hydrauliques, éoliennes, bio, géothermales, et solaires pourrait conduire à une expansion rapide et généralisée de l’accès à une énergie propre.
Le rapport estime que si la tendance actuelle continue, plus de 50% de l’énergie utilisée par les ménages et pour les activités commerciales en Afrique pourrait provenir d’énergies renouvelables d’ici 2063.
Les études de cas présentées dans le rapport offrent plusieurs leçons qu’il faudrait valoriser et étendre à l’ensemble de la région. Par exemple, le gouvernement zambien a mis en place des avantages fiscaux dans le but de diversifier l’offre en énergie du pays, tels qu’une réduction des droits de douane sur les produits énergétiques. Les programmes gouvernementaux axés sur le développement du réseau électrique et sur l’offre d’énergie hors réseau ont permis l’électrification des zones rurales. De plus, le gouvernement a proposé des méthodes de financement innovantes, telles que des locations avec option d’achat, pour financer des alimentations électriques et des équipements électrifiés utilisés dans les exploitations agricoles afin de réduire les risques pour les entreprises.
Au Ghana, la croissance en énergie a été soutenue par l’expansion de la recherche locale et le développement des compétences. Le gouvernement a également libéralisé le secteur de l’énergie afin de favoriser les investissements privés et a diversifié son portefeuille de ressources énergétiques afin d’avoir plus d’énergies renouvelables. De plus, le Ghana a axé ses politiques pour l’énergie sur le développement rural, en particulier dans le secteur de la transformation des produits agricoles.
Le rapport Malabo propose plusieurs points d’action pour les gouvernements africains afin de mettre en place des mesures qui soutiendront le développement rural et agricole, et qui aideront leur pays à atteindre l’objectif de développement durable 7.1.
- Elaborer des approches intégrées. Les organismes gouvernementaux responsables pour l’énergie, les denrées alimentaires, l’agriculture, et le développement durable doivent travailler ensemble et coordonner leurs stratégies et décisions politiques. Ceci permettrait d’assurer que les objectifs concernant l’accès à l’énergie soient atteints et que les progrès bénéficient à l’ensemble de la population, et notamment à la communauté rurale.
- Augmenter les investissements dans les systèmes hors-réseau et dans les miniréseaux. Les gouvernements ainsi que les acteurs du secteur privé devront investir dans des fournisseurs d’énergies de petites tailles et ascendants. Ces systèmes hors-réseau et ces miniréseaux permettent d’adapter les services énergétiques aux besoins spécifiques des populations rurales. Ainsi, des avantages financiers et règlementaires devront être mis en place afin d’augmenter les investissements dans ce domaine, en particulier dans les start-ups et dans les énergies renouvelables.
- Adopter des stratégies pour l’énergie adaptées à chaque sexe. Les femmes jouent un rôle décisif dans la gestion de l’énergie au niveau des ménages. Ainsi, afin d’être efficaces, les politiques énergétiques devront prendre en compte les besoins spécifiques des femmes. Ceci inclut les choix des outils et des technologies utilisés dans diverses stratégies énergétiques.
- Répondre aux défis posés par l’utilisation d’énergie biomasse. La combustion de différentes biomasses comme source d’énergie reste fréquente en Afrique. De ce fait, cette source d’énergie devrait faire partie des futures politiques énergétiques afin qu’elle devienne plus respectueuse de l’environnement. Les agriculteurs, les gouvernements, et les entreprises du secteur privé devraient se concentrer sur la production durable d’énergie biomasse. De plus, des efforts devraient être faits afin de ne plus utiliser d’énergie biomasse pour les activités de chauffage et de cuisine, afin de protéger à la fois l’environnement et la santé des personnes.
- Développer des politiques transnationales pour la sécurité énergétique. L’Afrique est pleine de ressources énergétiques mais ces dernières sont inégalement réparties sur le continent. En travaillant ensemble sur un cadre politique régional pour le développement et l’utilisation des énergies renouvelables, les gouvernements de la région pourront mieux garantir la sécurité énergétique globale. La coordination régionale devrait également réduire les besoins d’importations d’énergie en provenance du reste du monde.
Le Forum Malabo Montpellier (MaMo) est une plateforme qui réunit des décideurs africains pour dialoguer et échanger au plus haut niveau sur des sujets relatifs à l’agriculture, à la nutrition, et à la sécurité alimentaire.