La sécurité alimentaire reste une préoccupation importante dans de nombreux pays en développement, en raison de la prévalence des marchés informels décentralisés et de la faible application des normes de sécurité alimentaire. Néanmoins, les marchés formels et les produits alimentaires de marque deviennent de plus en plus communs, permettant aux entreprises de s’établir dans l’esprit des consommateurs comme des fournisseurs d’aliments sûrs et de bonne qualité – et potentiellement de se faire payer des prix plus élevés pour ces aliments. Un article à paraître dans le magazine Agricultural Economics examine ce lien entre la sécurité alimentaire et les prix des aliments dans le contexte de la production de la farine de maïs au Kenya.
Dans ce document, nous développons un modèle théorique qui illustre deux mécanismes à travers lesquels le prix et la sécurité alimentaire peuvent être liés. Premièrement, la sécurité alimentaire peut être liée à d’autres attributs de la qualité des aliments, plus faciles à observer, tels que l’apparence ou le goût. Etant donné qu’un sous-groupe de consommateurs désire payer plus pour des aliments qui ont une meilleure apparence et un meilleur goût, certaines entreprises exploitent ce créneau, en s’approvisionnant en intrants plus coûteux et en fournissant un produit de plus grande qualité à un niveau de prix plus élevé. Ces aliments de meilleure qualité et plus coûteux sont également (et accessoirement) plus sûrs.
Deuxièmement, les entreprises dont les marques sont les plus largement reconnues par les consommateurs peuvent être plus susceptibles d’investir dans le respect des normes de sécurité alimentaire, afin d’éviter des préjudices potentiels dont pourrait souffrir leur marque en cas d’incident de sécurité alimentaire.
L’étude se penche spécifiquement sur l’aflatoxine, un champignon que l’on retrouve dans 50 pour cent de la production de maïs dans la zone d’étude. Les aliments contaminés par l’aflatoxine représentent un grave danger pour la santé – pouvant entraîner des maladies du foie, des insuffisances hépatiques ou même la mort – quand ils sont consommés en très grandes quantités. L’étude vise à comprendre comment le respect de la réglementation kényane sur l’aflatoxine est lié au prix d’une marque particulière de farine de maïs. Les données ont été tirées de plus de 900 tests d’aflatoxine réalisés sur des échantillons de farine de maïs eux-mêmes choisis parmi 23 marques de farine de maïs ; les échantillons ont été collectés sur une période de six mois pendant l’année 2013.
Le lien entre le prix et les niveaux de contamination par l’aflatoxine semble être assez fort. Les marques les moins chères dans l’échantillon de l’étude étaient 25 pour cent moins susceptibles que les marques les plus chères de répondre aux normes règlementaires de lutte contre la contamination à l’aflatoxine.
Bien que l’étude ne permette pas d’écarter la possibilité que la relation entre la sécurité alimentaire et le prix soit simplement un sous-produit de la relation entre la qualité des aliments et leur prix, de nombreux producteurs de farine de maïs interrogés pour l’étude ont déclaré qu’ils ont réalisé des test d’aflatoxine sur les grains de maïs avant achat, à un coût significatif, suggérant ainsi que les investissements explicites en termes de sécurité alimentaire de la part des entreprises jouent en effet un rôle important.
L’amélioration de la sécurité alimentaire dans les marchés formels peut augmenter la prise de conscience des consommateurs et leur exigence de respect des normes de sécurité alimentaires. Si des normes améliorées de sécurité alimentaire entraînent des prix plus élevés, plus d’entreprises seront prêtes à investir dans le respect desdites normes ; ces effets de prix pourraient aller jusqu’à concerner toutes les étapes de la chaîne de valeur du maïs, fournissant des motivations aux agriculteurs et aux producteurs de farine pour investir dans les pratiques améliorées de sécurité alimentaire.
Cependant, étant donné le faible respect des normes règlementaires au Kenya, le maïs contaminé est toujours écoulé au marché. La principale stratégie de respect des normes de sécurité alimentaire utilisées par les producteurs de farine de maïs est de tester le maïs au stade de l’usine ; cependant, le maïs qui est rejeté par les entreprises ayant de meilleures normes de qualité peut encore atteindre le consommateur à travers des entreprises qui pratiquent des tests de moindre qualité ou qui ne pratiquent pas du tout les tests de détection de l’aflatoxine.
De tels produits de qualité inférieure sont généralement consommés par les consommateurs les plus pauvres, qui ne peuvent pas payer le prix fort pour les marques de plus grande qualité. De plus, les consommateurs pauvres, en particulier ceux des zones éloignées, dépendent souvent des marchés informels, dans lesquels les céréales sont achetées en vrac à partir de sources intraçables. Ainsi, à moins que des incitations en termes de sécurité alimentaires ne soient proposées aux agriculteurs pour les encourager à régler le problème de l’aflatoxine à la source, l’observation volontaire des normes risque d’exposer les consommateurs pauvres à un plus grand risque.