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Perspectives optimistes pour l’agriculture

Le Chapitre 2 du rapport Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2016-2025 publié cette semaine révèle que plusieurs mégatendances vont configurer le secteur agricole en Afrique dans les décennies à venir. Ces mégatendances incluent une croissance rapide de la population et de l’urbanisation, l’augmentation des emplois non agricoles, la répartition inégale des revenus et l’avènement d’une classe moyenne africaine, ainsi qu’un meilleur accès aux nouvelles technologies et à l’information. Le rapport indique que les perspectives agricoles de la région sont généralement positives, mais précise que c’est la manière dont les décideurs politiques font face à ces tendances qui déterminera véritablement la trajectoire du secteur.

Le secteur agricole en Afrique  a connu une certaine croissance ces dernières décennies, tout au moins en termes de valeur. Selon l’OCDE, la valeur totale du secteur agricole (en dollars US) a augmenté de 130 pour cent entre 1990 et 2013, la valeur des cultures (en particulier le maïs) représentant environ 85 pour cent de la valeur agricole totale de la région.

Toutefois, cette croissance a été davantage entraînée par l’expansion des terres consacrées à l’agriculture et par l’intensification des systèmes de cultures que par les améliorations en termes de productivité agricole, selon le rapport. Par exemple, les monocultures sont très répandues, ce qui signifie que les cultures ne sont pas alternées et que les terres ne sont plus laissées en jachère entre les saisons de cultures. De plus, la plupart des terres sous-utilisées de la région sont concentrées dans quelques pays, sont couvertes de forêts et/ou sont situées dans des localités éloignées sans accès au marché. La combinaison de tous facteurs remet en question la viabilité du mouvement d’expansion agricole en cours en Afrique.

Dans le même temps, une augmentation de la production alimentaire est cruciale pour la région. Selon le rapport, l’Afrique Sub-Saharienne devrait compter une population de 2,1 milliards d’ici 2050, soit environ 22 pour cent de la population mondiale. Depuis 1990, la population de l’ASS a augmenté de 96 pour cent ; pour comparaison, la croissance moyenne de la population mondiale a été de 38 pour cent. Cette explosion de la population a aussi donné lieu à des données démographiques uniques en Afrique – plus de 60 pour cent de la population de la région a moins de 25 ans et la population urbaine du pays a augmenté de 27 pour cent en 1990 à 38 pour cent en 2015. La population rurale de l’ASS continue elle aussi à augmenter en chiffres absolus.

Cette croissance combinée rurale-urbaine est particulièrement importante pour le secteur agricole. Selon le rapport, l’agriculture constitue encore le principal moyen de subsistance pour 25 pour cent de la population urbaine de la région. Ce qui signifie qu’une augmentation de la productivité du secteur peut non seulement améliorer de manière significative les moyens de subsistances à la fois dans le milieu rural et dans le milieu urbain, mais aussi stimuler la demande et les opportunités d’emploi en dehors du secteur agricole à travers des effets multiplicateurs. Par exemple, à mesure que la productivité augmente et que l’agriculture est de plus en plus commercialisée (et moins destinée à la subsistance), de nouveaux emplois peuvent être créés dans les étapes du conditionnement, de la vente en gros, de la transformation et de la vente au détail de la chaîne de valeur alimentaire.

Le rapport met aussi en lumière une croissance inégale des revenus en tant que facteur majeur limitant la croissance agricole de la région. Certains éléments portent à croire que, d’une manière générale, les revenus augmentent et la classe moyenne est en progression en ASS ; la Banque Africaine de Développement a rapporté que la part de la population de la région considérée comme faisant partie de la classe moyenne a augmenté de 27 pour cent en 1990 à 34 pour cent en 2010. Cependant, la consommation quotidienne par personne est de 2 à 4 dollars US pour 60 pour cent de ces 34 pour cent ; ceci est à la limite inférieure de ce que la Banque Africaine de Développement définit comme la classe moyenne, ce qui signifie que ces personne sont à peine sorties de la catégorie des « pauvres » et courent le risque de retomber dans la pauvreté très facilement.

De plus, l’ASS présente encore les taux d’inégalité les plus élevés du monde. Selon un rapport de 2012 de la Banque Africaine de Développement, les populations pauvres (qui vivent avec moins de US $2 par jour) comptent pour 60,8 pour cent de la population africaine et possèdent 36,5 pour cent des revenus totaux de la région ; les populations riches (qui vivent avec plus de US $20 par jour) comptent pour 4,8 pour cent de la population et possèdent 18,8 pour cent des revenus totaux. Cette répartition inégale des richesses ralentit la croissance ultérieure de la classe moyenne, limitant le nombre de consommateurs ayant les moyens financiers d’acheter des aliments plus variés et plus nutritifs et restreignant la croissance de la demande alimentaire. Si la croissance des revenus reste cantonnée  dans un segment étroit de la société, cela pourrait aussi diminuer les effets multiplicateurs de revenus mentionnés précédemment qui auraient autrement stimulé la croissance des emplois en dehors du secteur agricole.

Le rapport indique que le plus grand défi auquel le secteur agricole de la région est confronté est peut-être la faiblesse des infrastructures et la faible adoption des technologies. Par exemple, les mauvais réseaux de transport empêchent les ménages ruraux d’accéder aux marchés, entraînant des pertes post-récoltes plus importantes et limitant la distribution efficace des intrants agricoles importants tels que les semences et les engrais. Le transport long et coûteux de l’exploitation agricole au marché augmente aussi le coût des aliments. Améliorer le réseau des transports serait donc bénéfique à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs. De même, l’adoption de pratiques agricoles améliorées telles que l’irrigation reste faible dans la région. Augmenter l’accès et l’utilisation de systèmes efficaces d’irrigation aiderait les agriculteurs à travers la région à relever les défis posés par le changement climatique (y compris les sécheresses et les températures plus élevées).

Globalement, le secteur agricole africain est confronté à un ensemble complexe de défis mais il bénéficie également d’opportunités significatives. En effet, le rapport conclue de manière relativement optimiste – il prédit que la production agricole totale augmentera de 2,6 pour cent par an d’ici 2025. De plus, l’expansion des zones consacrées à l’exploitation agricole devrait ralentir pendant cette même période, suggérant que la croissance agricole sera plutôt mue par les améliorations de la productivité. De nombreux facteurs interviendront dans cette augmentation de la productivité, y compris une augmentation de l’adoption des technologies et l’intégration continue des petits exploitants agricoles dans la chaîne de valeur agricole.

Pour atteindre la croissance prévue, il faudra cependant un investissement stratégique de la part des secteurs publics et privés, ainsi que la création d’un environnement politique favorisant l’investissement du secteur privé et la création d’emplois. Ce n’est qu’en abordant de manière adéquate les mégatendances discutées dans le rapport – leurs défis et leurs opportunités – que les décideurs politiques seront en mesure de transformer efficacement le secteur agricole africain en moteur économique durable et inclusif.