En Afrique sub-saharienne, le manque d’accès aux services et aux produits financiers représente un sérieux défi pour la croissance agricole et la productivité. Bon nombre de petits exploitants agricoles sont pauvres en espèces ; il est courant pour les agriculteurs de la région de vendre leurs cultures immédiatement après la récolte afin de répondre à leurs besoins immédiats en espèces plutôt que d’attendre que les prix augmentent et ainsi augmenter leurs profits. Ce manque de capital disponible, combiné aux difficultés auxquelles les petits exploitants sont souvent confrontés dans l’accès au crédit, limite leur capacité à investir dans leurs fermes et dans d’autres activités génératrices de revenus.
En novembre 2016, Innovations for Poverty Action (IPA) a co-organisé une conférence à Ouagadougou (Burkina Faso) avec l’IFPRI, l’Université d’Etat du Michigan et l’Université Northwestern, dans le but d’examiner le lien entre inclusion financière et intensification agricole dans les zones rurales. La conférence comprenait une formation en renforcement des capacités ainsi qu’une présentation des résultats des projets de microfinance agricole, de crédit sur inventaire et d’adoption des intrants agricoles.
Environ 120 représentants des ONG, gouvernements, coopératives agricoles, universités et organisations de recherche et du secteur privé (y compris les banques et les commerçants agricoles) ont participé au volet formation en renforcement des capacités de la conférence. La formation a abordé les questions suivantes, en se basant sur les évaluations d’impact, les études expérimentales et les essais contrôlés randomisés : Pourquoi et quand chaque méthode est-elle utilisée ? Comment collecter les données et concevoir une évaluation randomisée ? Les participants ont été initiés aux différents types d’évaluation des impacts, y compris les méthodes naturelles, quasi-expérimentales et expérimentales ; la formation a également abordé l’importance de l’évaluation des besoins, de la mesure efficace des résultats, du contrôle de la qualité et du suivi.
La discussion sur les ECR (essais contrôlés randomisés) a souligné la fiabilité et l’efficacité de la méthode dans l’évaluation des programmes et la détermination des inférences causales. La formation s’est terminée avec une révision des études de cas pour permettre une meilleure comparaison des ECR et autres méthodes d’évaluation ainsi qu’une meilleure compréhension des préférences inhérentes aux méthodes non expérimentales. Les participants ont également eu l’opportunité d’appliquer les différentes méthodes d’évaluation couvertes dans la formation.
La seconde partie de la conférence a été consacrée aux résultats récents de la recherche. Dans l’une des études présentées à la conférence, Clara Delavallade, de l’IFPRI, examine comment le crédit d’inventaire, ou warrantage communautaire , peut aider à augmenter la consommation, l’épargne, l’investissement dans les intrants agricoles et l’éducation ; mais aussi à promouvoir la diversification des revenus dans les zones rurales du Burkina Faso. En utilisant une évaluation randomisée réalisée dans 38 villages au sud-ouest du Burkina Faso de 2014-2015, l’étude cherche à déterminer comment la disponibilité du crédit sur inventaire a impacté la consommation, l’épargne, le crédit et le comportement de sécurité alimentaire des agriculteurs.
Le crédit sur inventaire, ou warrantage communautaire , permet aux agriculteurs de conserver une partie de leur récolte dans un entrepôt pendant plusieurs mois et d’utiliser les sacs entreposés comme garantie pour contracter des prêts. En permettant aux petits exploitants d’attendre le moment où les prix augmentent (pendant la saison creuse) pour vendre leurs cultures et en leur donnant accès au crédit pour investir dans les intrants agricoles qui serviront lors de la saison suivante, ce système peut aider non seulement à augmenter la capacité d’épargne des ménages, mais aussi à leur assurer une consommation alimentaire annuelle régulière.
Dans la zone ciblée par l’étude, trois grands syndicats de coopératives agricoles et leurs partenaires ont établi un système de crédit sur inventaire en 2007 ; ce système s’est étendu au point de créer une grande coopérative agricole du nom de COPSA-C. L’étude a utilisé un système de loterie publique pour attribuer aléatoirement les 38 villages soit au programme de crédit sur inventaire soit à un groupe de comparaison qui n’a pas reçu le programme. Les ménages qui ont été sélectionnés pour le programme ont pu déposer un nombre prédéfini de sacs de céréales dans des entrepôts situés hors de leurs villages. Les cultures ont pu être conservées pendant six mois. Dans le même temps, les participants ont reçu des prêts allant jusqu’à 80 pour cent de la valeur des cultures qu’ils avaient conservées, à un taux d’intérêt de 7 pour cent ; des frais de 600 FCFA (1,14 USD) par sac entreposé avaient également été payés à COPSA-C après la fin de la période de stockage. Les prêts pouvaient être remboursés à n’importe quel moment au cours de la période de stockage de six mois et COPSA-C a fourni des services de conseil aux agriculteurs pour les aider à éviter les mauvais investissements et ainsi promouvoir l’investissement des prêts dans des activités génératrices de revenus.
Parmi les ménages qui ont bénéficié du programme, 36 pour cent ont choisi d’entreposer les céréales ; parmi ces ménages, 39 pour cent ont contracté un prêt. A la fin de la période de stockage, seul un ménage avait un prêt en cours, qu’il a remboursé en vendant ses cultures entreposées à un acheteur. En termes de consommation, les ménages ayant accès au crédit sur inventaire ont dépensé en moyenne 13.449 FCFA (environ 26 USD) de plus par an que les ménages dans le groupe de comparaison ; ces dépenses ont majoritairement servi à l’achat de produits non alimentaires. Les investissements ont particulièrement augmenté dans le domaine de l’éducation.
En termes d’épargne et d’investissement, il semble que le programme n’a pas eu un impact particulier sur le comportement d’épargne mais il a suscité une augmentation significative de l’investissement des ménages étudiés dans l’élevage. Les ménages ayant accès au programme de crédit sur inventaire ont connu une augmentation de 24 pour cent de la valeur totale du bétail acheté par rapport aux ménages du groupe de comparaison ; les ménages concernés étaient également 70 pour cent plus susceptibles d’acheter des porcs que ceux du groupe de comparaison. Aucun impact n’a été décelé sur la valeur des prêts contractés par les agriculteurs entre la récolte et la fin de la période de stockage de six mois, ou sur le montant du prêt en cours des agriculteurs ou encore sur le nombre total de prêts contractés pendant cette période.
Le programme a permis d’augmenter les dépenses des ménages concernés en intrants agricoles de 107 pour cent ; la quantité de semences achetées par les ménages du programme était de 66 pour cent plus élevée que celle achetée par les ménages dans le groupe de comparaison. Bien que le programme semble avoir un impact positif sur la sécurité alimentaire des ménages deux mois après le stockage, cet impact n’était plus détectable au début de la saison creuse. Il faudrait effectuer des recherches supplémentaires pour mieux comprendre l’impact du crédit inventaire sur la sécurité alimentaire.
Globalement, l’étude suggère que le crédit sur inventaire peut être un moyen efficace d’augmenter les investissements agricoles et non agricoles importants dans les zones rurales. Selon Delavallade, « le w arrantage peut être un système fiable, qui permet aux agriculteurs de diversifier et de stimuler leurs revenus en tirant profit des fluctuations des prix agricoles, de lutter contre l’insécurité alimentaire et aussi de renforcer l’éducation des enfants. »
La conférence de novembre a reçu un écho positif, en particulier en ce qui concerne son format interactif qui a permis des discussions approfondies sur les sujets présentés. Trois nouveaux articles ont été publiés suite à l’évènement et un quatrième article couvrant les leçons apprises est prévu pour les mois à venir.