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Renforcer le pastoralisme au Sahel et en Afrique de l'Ouest : Une décennie de progrès et la voie à suivre

Le pastoralisme est depuis longtemps une caractéristique des paysages culturels, sociaux et économiques du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest, assurant la subsistance de plus de 20 millions de personnes. Cette pratique ancestrale contribue pour près de 15 % au PIB des pays du Sahel, servant non seulement de pilier économique, mais favorisant également la paix et la résilience au sein des communautés. Cependant, la durabilité du pastoralisme est de plus en plus menacée par diverses pressions extérieures, ce qui rend essentiel un soutien mondial solide pour aider la région à s'adapter aux conditions changeantes.

L'adoption de la déclaration de Nouakchott en 2013 a marqué un tournant pour les communautés pastorales. Reconnaissant les défis pressants auxquels le pastoralisme est confronté, les gouvernements du Sahel, en collaboration avec leurs partenaires de développement, se sont engagés à des interventions stratégiques pour sécuriser les moyens de subsistance et les moyens de production des populations pastorales en vue d'augmenter le revenu brut des activités d'élevage et d'accroître de manière significative les revenus des pasteurs.

Résultats substantiels atteints

Le Projet régional d'appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS), conçu pour appuyer la Déclaration de Nouakchott de 2013 et soutenu par le Groupe de la Banque mondiale et d'autres partenaires, a franchi des étapes importantes. Comme l'illustre la figure 1, les principales réalisations en novembre 2024 comprennent l'expansion des services vétérinaires, qui s'est traduite par la formation de 137 vétérinaires et la création de 415 parcs de vaccination le long des corridors pastoraux, qui ont collectivement facilité la vaccination de plus de 600 millions d'animaux, réduisant ainsi la mortalité liée aux maladies et améliorant la productivité du cheptel.

Reinforcing pastoralism in the Sahel and West Africa: a decade of progress and the path forward    Figure 1 : Sélection de résultats obtenus dans le cadre du projet régional d'appui au pastoralisme au Sahel

Afin de répondre aux menaces écologiques qui pèsent sur les terres pastorales, le PRAPS a permis l'adoption de pratiques de gestion durable sur plus de 13 millions d'hectares, tandis que 4 200 kilomètres de couloirs de transhumance ont été délimités pour garantir la mobilité et améliorer l'accès aux ressources. Cette initiative, associée à la mise en place de comités de résolution des conflits, a favorisé une distribution équitable des ressources et atténué la dégradation des terres, contribuant ainsi à la durabilité à long terme des zones de pâturage. Pour renforcer encore le pastoralisme, le PRAPS a créé 559 points d'eau supplémentaires, améliorant sensiblement l'accès à l'eau pour les troupeaux et les communautés locales.

En outre, le PRAPS a renforcé l'impact économique du pastoralisme en améliorant la connectivité des marchés. Le développement de plus de 362 nouveaux marchés aux bestiaux, associé à la modernisation des installations, à l'amélioration des infrastructures de transport et à un meilleur accès au crédit, a permis à près de 56 000 personnes, dont 86 % de femmes, de diversifier leurs sources de revenus et de renforcer leur résilience économique.

Ces progrès ont contribué à préserver les moyens de subsistance des communautés pastorales et à renforcer la sécurité alimentaire dans tout le Sahel.

De nouveaux défis à l'horizon

Malgré ces développements prometteurs, les paysages géopolitiques et environnementaux du Sahel se sont considérablement modifiés au cours de la dernière décennie, entraînant de nouveaux défis alors que la demande d'aliments d'origine animale monte en flèche. Le changement climatique exacerbe les vulnérabilités en raison de la hausse des températures, de la désertification et de l'irrégularité des précipitations, qui affectent négativement la santé des animaux et réduisent la disponibilité des pâturages et de l'eau. La croissance rapide de la population et l'évolution des modes d'utilisation des terres ont intensifié la concurrence pour des ressources rares, entraînant des conflits entre les éleveurs et les autres utilisateurs des terres.

En outre, les restrictions sur les mouvements d'animaux - essentiels au pastoralisme - sont de plus en plus fréquentes en raison des problèmes de sécurité, des limitations imposées par les gouvernements sur la transhumance et de l'augmentation des activités transfrontalières illicites. Rien qu'au cours du premier semestre 2024, on a constaté une augmentation de 25 % de la violence et des conflits, ce qui souligne l'urgence de relever ces défis. En l'absence de cadres et d'institutions de gouvernance solides, les éleveurs risquent de rester marginalisés, ce qui aggravera encore les pressions socio-économiques et écologiques auxquelles ils sont confrontés.

Un appel à un engagement renouvelé

Le Forum de haut niveau Nouakchott+10 convoqué en novembre 2024, dix ans après la Déclaration de Nouakchott de 2013, a servi de plateforme pour réévaluer les progrès et réaffirmer les engagements envers les communautés pastorales, mais aussi pour adapter les stratégies aux réalités changeantes des systèmes pastoraux. Reconnaissant la nécessité d'une approche renouvelée, le Forum a souligné le besoin continu d'une gestion innovante des ressources naturelles, y compris la sécurisation des zones de pâturage, la sauvegarde des routes de transhumance, et l'amélioration de l'accès à l'eau grâce à des systèmes communautaires qui favorisent l'utilisation équitable et la durabilité à long terme. Le Forum a également souligné la nécessité d'une coopération et d'une coordination solides entre les États, y compris les pays côtiers et certains pays d'Afrique centrale, afin d'assurer la mobilité et de tirer parti de la complémentarité des systèmes agro-pastoraux en vue d'une gestion pacifique des territoires.

Pour renforcer la résilience climatique, le Forum a plaidé en faveur de systèmes d'élevage durables qui intègrent des pratiques agroécologiques, de capture du carbone et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour résoudre les conflits liés aux ressources, il faut également renforcer les cadres de gouvernance, en intégrant les autorités locales et les chefs traditionnels pour une gestion plus inclusive des conflits et de l'accès aux ressources.

Enfin, pour diversifier les opportunités économiques et promouvoir l'inclusion, le forum a souligné l'importance de renforcer les chaînes de valeur, telles que la viande, le lait et les peaux. Les investissements dans la formation professionnelle, la microfinance et l'esprit d'entreprise permettront aux femmes et aux jeunes de s'émanciper et de participer activement à la prise de décision et aux activités économiques.

Le temps de l'action

Il y a un double besoin de sécuriser les systèmes pastoraux pour leur environnement unique, leur rôle social et économique pour la stabilité du Sahel, tout en pilotant la transition nécessaire du secteur de l'élevage en Afrique de l'Ouest pour relever les défis à venir. La réalisation de ces objectifs ambitieux nécessitera un soutien financier et technique substantiel de la part des partenaires de développement, des gouvernements et du secteur privé. Des investissements adaptés qui répondent aux besoins spécifiques des communautés pastorales sont essentiels pour garantir l'efficacité et la durabilité des interventions. La collaboration entre les parties prenantes restera essentielle pour la mise en œuvre du plan d'action renouvelé et, en fin de compte, pour assurer l'avenir des systèmes pastoraux.

Aujourd'hui, le pastoralisme est la pierre angulaire de la résilience et de la stabilité du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest. Les progrès réalisés au cours de la dernière décennie constituent une base solide pour faire face aux nouveaux défis tout en créant de nouvelles opportunités pour les communautés qui dépendent de cette pratique vitale.

Chakib Jenane est le directeur régional du développement durable pour la région de l'Afrique occidentale et centrale à la Banque mondiale. Boutheina Guermazi est directrice de l'intégration régionale pour l'Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à la Banque mondiale. Olivier Buyoya est le directeur régional pour l'Afrique de l'Ouest à la SFI.