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Utilisation des données satellitaires atmosphériques pour surveiller les impacts économiques du conflit au Soudan

Le conflit armé qui a éclaté au Soudan en avril 2023 a eu de graves répercussions sur l’économie du pays. Avec des perturbations dans les infrastructures, le commerce et les activités agricoles, le conflit a engendré une pénurie de biens, une augmentation des prix des denrées alimentaires et une réduction de la croissance économique.

Ces perturbations ont réduit la disponibilité des produits alimentaires de base et déclenché une flambée des prix des denrées alimentaires. La production agricole et industrielle dans les zones touchées par le conflit a considérablement chuté et la circulation des intrants et des biens de production a été limitée. Les petits exploitants agricoles, qui dépendent de l’accès aux intrants et au bon fonctionnement des institutions, ont été fortement touchés. Le conflit a également causé le déplacement de personnes, exerçant une pression supplémentaire sur les ressources alimentaires et les systèmes de santé publique dans d’autres États du Soudan.

Dans un récent document de travail, nous décrivons l’utilisation de données satellitaires, en particulier les émissions de dioxyde d’azote (NO2) troposphérique, pour surveiller et analyser l’impact du conflit sur les activités économiques au Soudan, en montrant comment il peut fournir des informations détaillées sur les effets des conflits et d’autres chocs.

Les oxydes d’azote (NO2 et NO) sont des polluants atmosphériques nocifs principalement émis par les activités anthropiques, y compris les procédés industriels, les centrales électriques et les véhicules, et les processus naturels tels que les feux de forêt, la foudre et les processus microbiologiques dans les sols. Les concentrations de NO2 dans l’atmosphère peuvent donc servir d’indicateur des activités humaines et économiques. Des niveaux élevés de NO2 se trouvent souvent dans les zones urbaines densément peuplées avec des zones industrielles et un trafic intense. En cartographiant et en surveillant les points chauds de NO2 au fil du temps, les décideurs peuvent prendre des décisions éclairées sur l’utilisation des terres, les infrastructures de transport et les mesures de contrôle des émissions.

Pour évaluer la situation au Soudan, nous avons utilisé le produit de données Sentinel-5P OFFL NO2, dérivé de l’observation par satellite, qui fournit des mesures des niveaux atmosphériques de NO2 en temps quasi réel. Le produit est principalement un outil de surveillance de la qualité de l’air et est couramment utilisé comme indicateur plutôt que comme mesure directe des activités humaines et économiques. L’utilisation de données sur le NO2 pour détecter les changements dans ces activités offre donc un moyen créatif de mieux comprendre les impacts d’un conflit en évolution.

Les données pertinentes sont collectées par le satellite de surveillance atmosphérique Sentinel-5P, sa mission est une collaboration entre l’Agence Spatiale Européenne (ASE) et la Commission Européenne. Le satellite transporte un spectromètre imageur de pointe, l’instrument de surveillance troposphérique (TROPOMI), qui fournit des mesures très précises et détaillées des gaz atmosphériques, y compris le NO2.

Pour analyser l’impact du conflit, nous avons créé une carte de référence du Soudan pour 2022, indiquant les emplacements de l’activité humaine et économique concentrée et calculant les concentrations annuelles moyennes de NO2. Nous avons ensuite généré une série de cartes axées sur avril 2023, avant et après le déclenchement du conflit le 15 avril. Ces cartes nous ont permis de montrer l’évolution des concentrations de NO2 dans diverses régions et villes, et d’identifier les différences entre les zones touchées par la guerre et celles qui ne le sont pas.

En analysant les données sur le NO2 avant et après le début du conflit, nous avons observé des changements significatifs dans les concentrations de NO2 au Soudan. Avant le conflit, les niveaux de NO2 étaient élevés dans les zones urbaines, ce qui indique des centres économiques actifs. Mais après le début du conflit, les concentrations de NO2 ont diminué, en particulier dans les régions touchées par le conflit comme Khartoum. Cette baisse peut être attribuée à la réduction des activités économiques, à la circulation limitée des personnes et des biens et aux dommages causés aux infrastructures.

Par exemple, la figure 1 montre une nette différence entre les émissions avant et après le déclenchement du conflit, avec des zones autour de Khartoum (zone rouge au centre à droite) et au sud montrant des concentrations de NO2 sensiblement réduites après le début du conflit.

Figure 1 : Niveaux de NO2 (mol/m2) au Soudan avant et pendant le conflit

En zoomant, la figure 2 montre une baisse des concentrations dans deux zones de Khartoum autour du début du conflit, indiquant que l’arrêt brutal de la circulation des personnes dans et autour de la capitale a réduit les activités économiques et les émissions de NO2.

Figure 2 : Niveaux de NO2 (mol/m2) à Khartoum et Khartoum Nord (zones en conflit)

 

Les données montrent également une augmentation de la concentration de NO2 dans les régions moins touchées par le conflit que l’État de Khartoum – Ed Damazin, Kadugli et Kassala – au cours de la deuxième quinzaine d’avril. Ces zones sont plus éloignées de la zone de conflit et ont connu relativement plus de mouvements que d’habitude. Ainsi, les concentrations plus élevées de NO2 reflètent probablement la migration des personnes de Khartoum vers des lieux sûrs.

Nos résultats montrent comment les données satellitaires, telles que les mesures de NO2, peuvent fournir des informations précieuses sur les conséquences environnementales et économiques des conflits. En surveillant les changements dans les émissions de NO2, les parties prenantes peuvent évaluer l’étendue et la durée des conflits, comprendre l’impact sur les activités économiques et prendre des décisions éclairées pour une reprise et une stabilité durables. Cependant, il est essentiel de tenir compte des limites et des facteurs externes qui peuvent influer sur les concentrations de NO2, tels que les conditions climatiques et les processus naturels.

L’analyse des données satellitaires, en particulier à l’aide des émissions de NO2 troposphériques, offre un outil précieux pour surveiller les activités économiques pendant les conflits. Dans le cas du Soudan, l’analyse des variations du NO2 avant et après le conflit donne un aperçu de la perturbation des activités économiques, de la réduction de la circulation des personnes et des biens et de l’impact global sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance. En tirant parti des données satellitaires, les décideurs et les organisations humanitaires peuvent mieux comprendre et traiter les conséquences économiques des conflits, contribuant ainsi à une réponse plus efficace aux crises et aux efforts de relèvement au Soudan.

Hala Abushama est assistante de recherche à l’Unité des Stratégies de Développement et de Gouvernance (DSG) de l’IFPRI, basée à Khartoum, au Soudan ; Zhe Guo est coordinateur SIG principal au sein de l’Unité de Prospective et de Modélisation des Politiques (FPM) de l’IFPRI ; Khalid Siddig est chercheur principal DSG et chef du programme d’appui à la stratégie du Soudan de l’IFPRI, basé à Khartoum ; Oliver Kirui est un chercheur de l’unité DSG, basé à Khartoum ; Kibrom Abay est chef de programme pays et chercheur principal de l’unité DSG, basé au Caire ; Liangzhi You est chercheur principal de l’unité FPM. Cet article est basé sur des recherches qui n’ont pas encore été examinées par des pairs.

Document de travail référencé : Abushama, Hala ; Guo, Zhe ; Siddig, Khalid ; Kirui, Oliver K. ; Abay, Kibrom A. ; et You, Liangzhi. 2023. Suivi des indicateurs de l’activité économique au Soudan dans le contexte du conflit en cours à l’aide de données satellitaires. Document de travail 7 du SSSP. Washington, DC : Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI). 
https://doi.org/10.2499/p15738coll2.136724

Ce travail a été soutenu par l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID).

Source: IFPRI.org