Les pays ont mis en place plusieurs mesures afin d’éviter la transmission de la COVID-19 ; l’Éthiopie a imposé des mesures de contrôle moins restrictives concernant le déplacement des personnes et les activités que de nombreux pays. Cependant, ces dernières ont un impact économique significatif, touchant principalement les personnes pauvres et urbaines. Afin d’examiner cette thématique, Kalle Hirvonen, Gashaw Tadesse Abate et Alan de Brauw ont réalisé des enquêtes par téléphone auprès des ménages d’Addis Ababa concernant leurs variations de revenus, leurs dépenses alimentaires, et leur consommation pendant la période où les mesures de contrôle de la COVID-19 avaient été mises en place. D’après leurs résultats initiaux, résumé ci-dessous, ils proposent de mettre en place des programmes de suivi et de surveillance afin de répondre à la menace croissante de l’insécurité alimentaire des ménages urbains. — John McDermott , coéditeur et Directeur du Programme de Recherche CGIAR sur l’Agriculture pour l’Alimentation et la Santé ( A4NH ).
Alors que la pandémie de COVID-19 s’est répandue dans le monde entier, des confinements, des perturbations de l’offre, et des problèmes économiques ont surgis, attirant l’attention des législateurs, de la communauté experte en développement et d’autres observateurs sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle . Des données provenant d’enquêtes ménages représentatives concernant les réponses immédiates et de long-terme de ces derniers vis-à-vis de la pandémie sont nécessaires afin de comprendre ces impacts et leurs implications, et afin de sélectionner les réponses appropriées. Ce besoin est d’autant plus urgent pour les zones urbaines, où les résidents font potentiellement face à des risques publics plus importants et à des restrictions plus fortes.
Afin de mettre en lumière la façon dont les ménages à Addis Ababa, en Éthiopie, font face à cette crise, le Programme de Soutien à la Stratégie de l’Éthiopie (ESSP) de l’IFPRI, avec l’aide du Programme de Recherche du CGIAR sur l’Agriculture pour la Nutrition et la Santé (A4NH), a débuté une série d’entretiens téléphoniques mensuels. Les données initiales montrent que les ménages pauvres sont plus touchés d’un point de vue économique que les ménages riches, et que la diversité alimentaire a diminué. Les résultats suggèrent que la situation concernant la sécurité alimentaire à Addis Ababa pourrait se détériorer dans les semaines à venir si les mesures permettant d’éviter la transmission du virus sont maintenues.
Les enquêtes téléphoniques ont été basées sur des données collectées à partir d’un échantillon de ménages représentatif qui ont participé à une étude randomisée contrôlée en 2019 , et qui s’est terminée début 2020. La première enquête téléphonique a été réalisée début mai et couvre 600 ménages répartis tout au long de la distribution de revenus à Addis Ababa, comme le feront les enquêtes suivantes.
L’Éthiopie a eu son premier cas confirmé de COVID-19 le 13 mars. Le ministère de la santé a immédiatement commencé à identifier les cas potentiels et à isoler les personnes testées positive au virus. Trois jours plus tard, le gouvernement ferma les écoles, interdit les rassemblements publics et les activités sportives, et recommanda d’appliquer des mesures de distanciation sociale. D’autres mesures visant à réduire la transmission du virus ont suivi. Les voyageurs en provenance de l’étranger étaient placés en quatorzaine obligatoire, les bars étaient fermés jusqu’à nouvel ordre, et il était interdit de traverser la frontière terrestre. Plusieurs gouvernements régionaux ont imposé des restrictions concernant les transports publics et les mouvements de véhicules entre les villes et les zones rurales.
Bien que les mesures fussent claires, il y a eu une certaine confusion et la mise en place de ces mesures n’a pas été facile, et a eu des retombées économiques importantes. L’enquête initiale, réalisée entre le 1 er et le 6 mai, visait à capturer l’effet immédiat de ces mesures sur les gens et leurs connaissances de la maladie. Elle démontre que la quasi-totalité des gens avaient connaissance du virus et que la plupart connaissaient les mesures préventives de base telles que se laver les mains ou respecter une certaine distanciation sociale. Tout comme la plupart des habitants de pays développés , une part importante de l’échantillon - 35% - a affirmé être « extrêmement stressée ».
Nous avons demandé aux personnes interrogées de comparer le revenu de leur ménage en avril 2020 à leur revenu habituel à cette période de l’année. Environ 37% des personnes interrogées ont répondu que leur ménage avait « beaucoup moins de revenus », et environ 21% ont répondu que leur ménage avait « un peu moins de revenus ». Lorsque nous étudions les pertes signalées par quintile de richesse (définis grâce à l’enquête réalisée en janvier et en février), nous montrons que les ménages pauvres sont plus à même de signaler beaucoup moins de revenu en avril que les ménages riches.
De quelle manière les ménages font-ils face à cette réduction de revenus ? Nous avons demandé à ceux ayant répondu qu’ils avaient perdu une partie de leur revenu de partager avec nous leur stratégie. Environ deux-cinquième piochent dans leur épargne et environ un-quart réduisent leurs dépenses alimentaires. Les ménages n’ont en moyenne pas beaucoup d’épargne ; environ deux-cinquième ont assez d’épargne pour s’alimenter pendant 14 jours, et seulement 10% de tous les ménages ont assez d’épargne pour s’alimenter pendant plus d’un mois.
Avec la réduction des dépenses alimentaires, nous observons des changements dans les habitudes alimentaires des gens. Nous avons dirigé un module standard sur la diversité alimentaire des ménages , reprenant celui réalisé (en face à face) début 2020. Nous montrons qu’il est moins probable que les ménages signalent qu’ils consomment des fruits (en baisse de 81% à 60% des ménages), de la viande (65% à 54%) et des produits laitiers (56% à 45%). Ces résultats prouvent que les préoccupations concernant la réduction de la densité de nutriments dans l’alimentation des gens sont bien réelles : les ménages réduisent leurs dépenses alimentaires en substituant des produits riches en nutriments par des produits moins chers, mais moins riches en nutriments. Ces résultats sont inquiétants, d’autant plus qu’il existe une incertitude concernant la durée de la pandémie et de ses effets économiques, et à long-terme, de tels changements alimentaires pourraient augmenter la malnutrition et être néfastes au système alimentaire dans son ensemble.
Une perturbation majeure telle qu’une pandémie à des conséquences fortes sur l’évolution des systèmes d’alimentation. Lorsqu’un choc négatif se produit, les décisions d’achat de produits alimentaires ne sont plus prises en fonction de la diversité alimentaire mais en fonction de la quantité minimale à acheter pour se nourrir. Nos données montrent que de nombreux ménages à Addis Ababa ont réagi de cette manière, bien que le niveau global d’insécurité alimentaire ne soit pas encore alarmant. Cependant, avec la réduction de l’épargne, il est fort probable que nous observions une croissance rapide de l’insécurité alimentaire dans un futur proche, d’autant plus si les restrictions liées à la COVID-19 sont maintenues.
Bien que ces mesures limitent la transmission de la COVID-19, elles constituent un coût important, notamment pour les ménages les plus pauvres. Une des réponses politiques serait d’accroître rapidement les programmes de soutien existants avant que l’insécurité alimentaire et la faim n’atteignent des niveaux alarmants. En Éthiopie urbaine, le Filet de Sécurité Urbain Productif offre déjà un cadre pour identifier les ménages les plus pauvres et les plus touchés. Une autre réponse importante serait de soutenir les 1000 banques alimentaires qui ont été établies à Addis Ababa pour réduire l’insécurité alimentaire. Seule une assistance conjointe peut aider les populations qui n’ont plus de revenu et qui font face, en conséquence, à des choix alimentaires. Dans de prochaines enquêtes, nous continuerons d’identifier la façon dont les mesures affectent les ménages et dont ces derniers modifient leurs comportements alimentaires.
Kalle Hirvonen est Chercheur Senior au Programme de Soutien de la Stratégie de l’Éthiopie (ESSP) de l’IFPRI ; Gashaw Tadesse Abate est Chercheur au sein du Département Marchés, Échanges et Institutions (MTID) de l’IFPRI ; Alan de Brauw est Chercheur Senior au sein du MTID de l’IFPRI. L’analyse et les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs uniquement.