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L'agriculture et le changement climatique : Partie du problème, partie de la solution

Depuis la déclaration des objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies en 2000, le monde a fait des progrès considérables pour réduire la faim. Cependant, on estime que 200 millions d'Africains continuent de souffrir de malnutrition chronique et que cinq millions de personnes meurent encore chaque année des conséquences de la faim. Dans un nouveau rapport présenté par le Panel de Montpellier le mois dernier, les chercheurs avertissent que, sans investissements supplémentaires dans l'agriculture intelligente face au climat de la part des gouvernements et des donateurs internationaux, la situation en Afrique au sud du Sahara pourrait devenir encore plus désastreuse.

Le rapport estime que sans un financement accru de la production agricole durable et de l'adaptation au changement climatique, la faim et la malnutrition infantile dans la région pourraient augmenter de plus de 20 % d'ici le milieu du siècle. Déjà durement touchée par les changements climatiques et les phénomènes météorologiques violents, l'Afrique pourrait voir ses températures moyennes augmenter encore plus vite que la moyenne mondiale (+2 o ), atteignant jusqu'à 3 o à 6 o de plus que les niveaux du XXe siècle. Le rapport indique également que les pertes agricoles de la région pourraient représenter jusqu'à 7 % du PIB total d'ici 2100.

Que peut-on faire pour prévenir ces effets catastrophiques ? Le rapport recommande de fixer dix priorités. Tout d'abord, les gouvernements et les organismes internationaux tels que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) doivent placer la menace que représente le changement climatique pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en tête de leurs priorités. Une attention particulière doit être accordée aux groupes vulnérables tels que les petits exploitants agricoles et les femmes ; ces populations ont tendance à souffrir de manière disproportionnée des chocs agricoles liés au climat, mais elles ont également le potentiel de jouer un rôle important dans l'augmentation de la résilience au changement climatique, si elles sont correctement soutenues.

Deuxièmement, il est nécessaire d'accroître les investissements dans l'agriculture durable afin d'aider les agriculteurs du monde en développement à s'adapter au changement climatique, à en atténuer les effets et à garantir leurs moyens de subsistance. L'agriculture contribue largement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ; au cours de la dernière décennie, les émissions liées à la production végétale et animale ont en fait augmenté. Si la contribution globale de l'Afrique aux émissions mondiales de GES reste relativement faible, les émissions des secteurs de l'agriculture, de la sylviculture et des autres utilisations des terres (AFOLU) de la région sont relativement élevées et augmentent de 1 à 2 % chaque année. Sur l'ensemble du continent, les émissions AFOLU représentent 28 % des émissions totales de GES. Aider les agriculteurs à adopter des pratiques de production plus durables, telles qu'une meilleure gestion des sols et des techniques d'utilisation des terres, peut contribuer à réduire ce pourcentage élevé.

Troisièmement, les gouvernements doivent investir dans une meilleure surveillance météorologique, dans la collecte de données météorologiques et dans la modélisation du climat afin de fournir de meilleures estimations du changement climatique et de prévoir avec plus de précision les événements météorologiques extrêmes. Le climat de l'Afrique est à la fois très diversifié et très variable, ce qui signifie que le changement climatique aura un large éventail d'effets (principalement néfastes) dans toute la région. Le réchauffement de la région, qui se traduit par une hausse des températures de la mer et de la surface terrestre, a entraîné une augmentation de l'incidence et de la gravité d'événements tels que les sécheresses et les inondations. Les changements de température et de temps peuvent réduire les rendements agricoles et avoir un impact sur la qualité des cultures, du bétail et de la pêche. L'IFPRI estime que les rendements totaux de riz, de blé et de maïs en Afrique au sud du Sahara diminueront respectivement de 14 %, 22 % et 5 % d'ici 2050 en raison du changement climatique.1 On estime également que plus de 60 % des zones actuelles de production de maïs en Afrique subiront des pertes de rendement.2 Des services météorologiques mieux financés et mieux équipés seront essentiels pour aider les gouvernements et les agriculteurs à comprendre et à se préparer à une incidence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes.

Quatrièmement, il faut investir davantage dans la recherche sur les réactions des différentes variétés de cultures et des races de bétail aux sécheresses, aux inondations et au stress thermique. Cette compréhension doit être accrue au niveau gouvernemental et local, et des efforts doivent être faits pour augmenter l'adoption par les agriculteurs de variétés et de races améliorées.

Cinquièmement, de meilleures estimations régionales et nationales du nombre de personnes souffrant de la sécurité alimentaire et nutritionnelle doivent être générées afin d'adopter des stratégies appropriées de renforcement de la résilience. Ces estimations doivent également inclure la prévalence des carences en micronutriments. La production agricole étant menacée par le changement climatique, de nombreux pays sont susceptibles de voir le prix de leurs cultures de base augmenter. En conséquence, les groupes vulnérables tels que les petits exploitants agricoles et les femmes, qui sont déjà confrontés à une incidence plus élevée de la pauvreté, auront encore moins d'argent à consacrer à une alimentation nutritive et diversifiée. Une note de recherche de l'IFPRI de 2001 estime que la disponibilité calorique par habitant en Afrique au sud du Sahara devrait diminuer de 37 calories par jour ; la malnutrition infantile devrait également augmenter pour atteindre 39 millions d'enfants touchés d'ici 2030, contre 30 millions en 2000. Pour que les gouvernements nationaux et les communautés locales puissent renforcer leur résilience face à ces défis, il faut avoir une idée plus précise du nombre exact de personnes et des populations spécifiques qui sont en danger.

Sixièmement, les techniques de résilience et d'adaptation communautaires éprouvées doivent être étendues. Il s'agit notamment de projets de gestion des sols, de l'eau et des nutriments, de technologies de conservation et d'outils de gestion des risques. Par exemple, la plantation de cultures fixant l'azote peut améliorer la qualité des sols et réduire le risque de surfertilisation. La mise à l'échelle efficace de ces programmes nécessitera des investissements accrus de la part des gouvernements, des donateurs internationaux et du secteur privé ; toutefois, il est essentiel que les communautés locales soient autorisées à prendre l'initiative. Le rapport recommande de confier le pouvoir de décision et le financement aux administrations et autorités locales, car elles ont souvent une meilleure idée de la situation agricole réelle dans leur région. Travailler avec les communautés pour tirer des enseignements des programmes qui fonctionnent déjà contribuera à garantir que les approches descendantes sont appropriées et efficaces à long terme.

Septièmement, les organisations internationales et les gouvernements doivent s'attacher à aider les petits exploitants agricoles à réduire et à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Alors que les efforts visant à maintenir l'augmentation de la température mondiale en dessous de 2 o ont souvent porté sur l'industrie mondiale, le rôle de l'agriculture dans les émissions de GES a été largement négligé. Le renforcement de la capacité des agriculteurs à adopter des pratiques de production durables contribuera à la fois à stimuler la production agricole et à réduire les émissions.

Huitièmement, les investissements devraient être ciblés sur les interventions qui améliorent le carbone et les autres gaz à effet de serre dans le sol. Ces interventions comprennent la plantation d'arbres, l'amélioration des pratiques de gestion de l'utilisation des terres et l'utilisation de méthodes agricoles sans labour ; ces techniques piègent essentiellement les gaz à effet de serre dans le sol, les empêchant d'être libérés dans l'atmosphère. La prévention de la coupe à blanc des arbres et de la végétation naturelle présente l'avantage supplémentaire de réduire l'érosion et la perte de fertilité des sols, et d'augmenter les rendements et les revenus des cultures.

Neuvièmement, le financement de l'adaptation au changement climatique et de l'atténuation de ses effets doit être amélioré afin que les gouvernements africains puissent mieux accéder aux fonds qui bénéficient à leurs populations de petits exploitants. Entre 2003 et 2013, 34 milliards de dollars ont été promis à divers fonds pour le changement climatique ; cependant, l'Afrique subsaharienne n'a reçu que 2,3 milliards de dollars, dont 45 % seulement ont été utilisés pour des projets d'adaptation. Il s'agit d'un écart financier important qui doit être comblé si la région veut atteindre son potentiel d'adaptation au changement climatique. En 2009, les pays développés ont promis 30 milliards de dollars de "financement rapide" pour soutenir les efforts des pays en développement en matière de climat. Ces fonds pourraient aider les gouvernements africains à soutenir des programmes d'agriculture durable et d'agroforesterie et pourraient cibler les besoins d'adaptation spécifiques des petits exploitants. Toutefois, le changement climatique n'étant pas un défi unique, les mécanismes de financement doivent être conçus en collaboration avec les communautés locales afin de garantir que les fonds parviennent à ceux qui en ont besoin et qu'ils permettent de relever efficacement les défis liés au climat dans chaque région.

Enfin, la conception et la mise en œuvre de stratégies d'adaptation au changement climatique et d'atténuation de ses effets nécessiteront un leadership politique fort, des marchés fonctionnant correctement et un environnement réglementaire efficace. La planification du changement climatique doit être intégrée dans tous les ministères, et les efforts locaux, nationaux et régionaux doivent être coordonnés. Le Programme détaillé pour le développement de l'agriculture africaine (PDDAA) peut servir de modèle pour ces efforts de coordination. En outre, le secteur privé devra être inclus aux niveaux local, national et régional, et des investissements substantiels devront être consacrés à l'éducation et au renforcement des capacités. La sensibilisation au changement climatique doit être une priorité pour les gouvernements africains.

L'agriculture fait partie du problème en ce qui concerne le changement climatique, car elle contribue de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre. Mais les agriculteurs et l'agriculture ont aussi le potentiel d'être un élément important de la solution au changement climatique. Il incombe aux dirigeants mondiaux, à la communauté internationale des donateurs et au secteur privé mondial de veiller à ce que les petits exploitants agricoles africains disposent des ressources, des financements et des capacités dont ils ont besoin pour favoriser le développement agricole durable, réduire les émissions de gaz à effet de serre et renforcer la résilience au changement climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes.

 

1. International Food Policy Research Institute, (2009), Impact of Climate Change on Agriculture - Factsheet on Sub-Saharan Africa.
2. Lobell, D.B. et al., (2011), Nonlinear heat effects on African maize as evidenced by historical yield trials, Nature Climate Change Vol. 1.